Désintox
Publié le 4 novembre 2021

L’AME coûte-t-elle trop cher à la France ?  

Jugée très utile et indispensable par beaucoup, l’aide médicale d’Etat revient malgré tout chaque année dans les débats politiques. Que représentent concrètement les dépenses liées à l’AME ? A qui bénéficie ce dispositif ? Est-il réellement trop onéreux ? Tour d’horizon des idées reçues sur l’AME.

 

Qu’est-ce que l’Aide médicale d’Etat ?

Mise en place en janvier 2000, l’AME, encore mal connue, poursuit un but : assurer l’accès aux soins des personnes en situation irrégulière, vivant en France depuis plus de 3 mois et disposant de faibles ressources (< 9 041 euros par an). L’AME permet la prise en charge à 100 % des soins médicaux essentiels et hospitaliers dans la limite des tarifs de remboursement de la Sécurité sociale. Certains frais ne sont pas pris en charge sauf pour les mineurs comme les actes techniques, les examens, certains médicaments et produits nécessaires à la réalisation d’une aide médicale à la procréation, les médicaments à service médical rendu faible remboursés à 15 % ou encore les cures thermales. Depuis janvier 2021, un délai de carence de 9 mois a été introduit pour l’accès au panier de soins complet de l’AME.

 

L’Aide médicale d’Etat, est-elle vraiment utile ?

La santé est un bien collectif et l’affaire de tous. La crise sanitaire de 2020 nous l’a tragiquement rappelé : une personne affectée par une maladie peut être contagieuse. Or, plusieurs études révèlent la surreprésentation de certaines maladies transmissibles au sein des bénéficiaires de l’AME. Beaucoup proviennent de pays en développement où le système de prévention sanitaire est très faible voire inexistant. À leur arrivée en France, beaucoup ignorent leur probable contamination. Par exemple, seulement 6% des patients atteints d’hépatite B connaissent leur diagnostic avant d’arriver en France. Par conséquent, tout retard de diagnostic aura des conséquences sur la propagation de la maladie et augmentera le nombre d’individus contaminés, d’où l’importance d’agir.

 

Pourquoi le nombre de bénéficiaires tend à la hausse ?

Le nombre de bénéficiaires de l’AME a doublé en 15 ans, passant de 189 000 en 2005 à 369 000 bénéficiaires en 2020. Depuis sa création, elle connaît une croissance moyenne de 8,3 % par an.

Cette hausse est à mettre en relation avec les évolutions géopolitiques récentes. En effet, selon l’enquête « Premiers Pas » réalisée par l’Irdes (Institut de recherche et de documentation en économie de la santé), les personnes en situation irrégulière viennent en France à 47 % pour un motif économique ou social et à 22 % pour un motif politique. Les problèmes de conflictualité privée (« protéger ma fille de l’excision », « fuir un mariage forcé », « orientation sexuelle ») sont cités par 14 % d’entre elles, le plus souvent par des femmes, et seulement 10 % citent un motif lié à la santé, qui bien souvent est combiné à d’autres motifs (économiques ou politiques). Ainsi, 63 % des personnes interrogées viennent d’Afrique subsaharienne, 24 % d’Afrique du Nord, 6% d’Amérique Latine, 2 % de l’Union européenne et seulement 3 % d’Asie.

En 2020, l’AME a connu une hausse du nombre de ses bénéficiaire de 10 %. Plusieurs explications peuvent être avancées :

  • la crise sanitaire liée au Covid qui a entraîné une prolongation automatique des droits jusqu’au 31 juillet 2020 ;
  • une hausse du taux de recours : en effet, il est estimé que parmi les personnes sans titre de séjour et résidant en France depuis plus de trois mois, et donc éligibles à l’AME, seules 51 % sont effectivement couvertes par l’AME (60 % des femmes et 47 % des hommes).

 

Evolution des dépenses et du nombre de bénéficiaires de l’AME

Cliquez sur le graphique pour l’agrandir.

Qui sont les bénéficiaires de l’AME ?

Le « bénéficiaire-type » de ce dispositif de solidarité a moins de 40 ans (70,5 % des bénéficiaires), est un homme (54 %) et vit seul (79,5 %). Il est souvent en situation d’extrême précarité : deux personnes sur trois déclarent avoir connu une situation de précarité alimentaire au cours des douze derniers mois. De plus, 22 % d’entre eux se déclarent en mauvais ou très mauvais état de santé contre 8 % de la population française.

 

Est-ce que les dépenses de l’AME sont trop élevées ?

Les dépenses liées à l’AME atteignent 920 millions d’euros en 2020. A titre de comparaison, les dépenses de santé étant estimées à 209,2 milliards d’euros en 2020, les dépenses d’AME ne représentent que 0,4 % de ces dépenses.

Les dépenses au titre de l’AME ont connu une augmentation dynamique de 9,9 % par an en moyenne depuis son instauration. Cependant la dépense moyenne par bénéficiaire a diminué : alors qu’elle était d’environ 3 300 euros par bénéficiaire en 2011, elle se stabilise aujourd’hui autour de 2 500 euros, une conséquence de la réduction du champ de prise en charge des soins. Ce niveau de dépense est inférieur à celui de la population française dans son ensemble (3 109 euros), alors que les bénéficiaires de l’AME présentent un état de santé en général plus dégradé que la moyenne de la population française.

L’essentiel des soins pris en charge dans le cadre de ce dispositif s’effectue en établissements hospitaliers : 68 % en 2020.

 

Est-ce que le dispositif est soumis à un taux de fraude élevé ?

Il existe trois types de fraudes : résidence, ressources, et identité. Les principales suspicions de fraude se situent sur des personnes qui seraient en France depuis moins de 3 mois. Or, selon la Cnam, 60 % des bénéficiaires seraient en France depuis plus d’un an. En 2019, sur 11,4 % des dossiers d’AME inspectés, seuls 4 % des dossiers ont été rejetés.

 

Solidarité : qu’en est-il en Europe ?

En Suisse, l’affiliation payante d’un ressortissant étranger à la caisse d’assurance maladie est obligatoire. En Allemagne, la prise en charge gratuite des soins est conditionnée à plusieurs critères : les soins urgents, la souffrance physique, les soins aux femmes enceintes, les soins aux victimes d’accident du travail ou d’une agression physique, la lutte contre les infections (MST, vaccination). Par conséquent, cette solidarité concerne un champ sanitaire plus restreint.

Selon les études qui mesurent la politique d’intégration des migrants dans les Etats de l’Union européenne et d’autres Etats industrialisés, la France se place parmi les Etats où les droits en matière de santé accordés aux migrants semblent les plus avantageux. Pourtant, les différentes enquêtes montrent que les barrières administratives et juridiques sont nombreuses : complexité du droit en matière d’immigration et succession de réformes et de nouveaux textes de loi, complexité des situations par rapport au droit de l’assurance maladie, ainsi que les difficultés de communication relevant à la fois des registres linguistiques et culturels, sans compter les problèmes de discrimination à l’égard des migrants.

Pourquoi ce dispositif se révèle nécessaire et indispensable ?

Les travaux récemment menés par l’Irdes suggèrent que toute mesure qui viserait à limiter les droits offerts par l’AME de droit commun afin de lutter contre l’immigration clandestine ou de réduire fortement les dépenses de santé couvertes par l’AME raterait certainement sa cible. Le risque serait en revanche de mettre en danger l’état de santé d’une population, pour partie très précaire et avec des besoins de soins largement non couverts, et de laisser le poids de leur prise en charge aux services d’urgence et aux associations.

L’AME ne doit pas uniquement être considérée en s’intéressant à son coût budgétaire, il faudrait plutôt l’approcher à travers son coût net, en tenant compte également des coûts évités par ce dispositif. Ainsi, le coût net de l’AME est sans doute significativement inférieur à son coût budgétaire.

Sources : Projets de loi de Finances; Irdes, 2021.