Notre système de protection sociale s’est construit sur le travail : financement assis sur la rémunération, indemnités journalières compensant la perte de revenu, pilotage par les partenaires sociaux. D’aucuns constatent néanmoins une tendance ces dernières années : le rattachement des droits sociaux à la personne en lieu et place du statut. La protection universelle maladie (Puma) en constitue une excellente illustration.

Pour rappel, depuis 2016, toute personne qui travaille ou réside en France de manière stable et régulière a droit à la prise en charge de ses frais de santé à titre personnel et de manière continue tout au long de sa vie. Ainsi, indépendamment du parcours personnel ou professionnel, la continuité des droits à l’assurance maladie est en permanence assurée. Cette tendance est pourtant loin d’être absolue : les régimes de retraite restent spécifiques au secteur d’activité ; l’assurance-chômage a le plus grand mal à être étendue à d’autres catégories que les salariés ; les prestations familiales sont en fonction des enfants, mais celles-ci sont versées aux parents du fait de la charge qu’ils supportent.

Existe-t-il une logique idéale, à laquelle entièrement se vouer ? Le rattachement des droits à la personne doit-il être absolu ou limité à certains types de droits sociaux ? Doit-on acter le passage définitif d’un système bismarckien à un système beveridgien ?

La question posée du rattachement des droits remet à l’ordre du jour le débat entre système bismarckien et système beveridgien. Mais le débat n’est pas nécessairement à ce stade. Un individu en tant qu’assuré social peut disposer de droits qui lui sont propres du fait de ses cotisations sans que ces droits soient transposables à son conjoint(e). Le système beveridgien dans son acception première induit une fin de cotisations sociales pour ne laisser place qu’à l’impôt. Certains systèmes de protection sociale restent intellectuellement plus rattachés au travail passé, même s’il conviendrait de discuter dans le détail chacun des points, comme la retraite ou le chômage. Il revient, par contre, à la solidarité nationale financée par l’impôt de mettre en œuvre des mécanismes de minimums afin de maintenir chacun en sa dignité et d’éviter autant que faire se peut l’exclusion sociale (dans les exemples cités, le RSA et la PSV).

La situation est différente en ce qui concerne la santé. La couverture maladie tend vers un schéma en trois strates : les personnes qui ne disposent que de la CMU et qui bénéficient à ce titre d’une prestation de solidarité, les personnes cotisant à la Sécurité sociale et qui pour cela ont droit à un certain nombre de remboursements et les personnes disposant de la Sécurité sociale et d’une couverture complémentaire. La troisième catégorie de personnes est en voie d’extension.

En effet, la généralisation de la complémentaire santé pour les salariés est intervenue suite à l’accord national interprofessionnel (Ani) de janvier 2013 et renvoie à portion congrue le nombre de personnes non couverts par un Ocam. Derrière l’intention louable d’étendre la couverture complémentaire, cette mesure favorise en réalité les contrats collectifs d’entreprise par rapport aux contrats individuels. En se focalisant sur les salariés, elle est par ailleurs en contradiction avec la volonté de détacher les droits sociaux du statut de travailleur. Ainsi, l’Ani reproduit paradoxalement les traits dont on voulait se débarrasser depuis quarante ans : la différenciation entre salariés et non-salariés et le poids des cotisations sociales pour les entreprises. Surtout, il existe des risques pour les différentes personnes non inclues dans l’Ani. De cette manière, en raison d’une mutualisation plus faible du risque, le coût de la couverture complémentaire va mécaniquement augmenter pour les chômeurs et les retraités s’ils souhaitent que leur protection reste d’un niveau équivalent après leur sortie du marché du travail.

Pour tous les progressistes, la généralisation de la complémentaire pour les salariés ne peut être qu’une première étape avant la généralisation à tous.

Quelle serait le schéma final possible dans ce cadre ? De manière synthétique, il pourrait se comprendre comme la suppression de la deuxième catégorie ci-dessus et avec la définition d’un socle commun qui financerait un panier de soins définis par la collectivité nationale chaque année. Les soins remboursés et le niveau de remboursement devra, dans ce cadre, retenir toute l’attention. Afin que la mesure porte tous ces effets en termes de réduction des inégalités sociales de santé, il ne peut s’agir que de l’extension de la prise en charge aujourd’hui effectuée par l’assurance maladie à tous (en prenant en considération les aménagements préconisés, par ailleurs, sur les soins dentaires, ophtalmologiques et auditifs). Seul un niveau conséquent de prise en charge socialisée permettra la soutenabilité financière du système ainsi que son efficacité en termes de santé publique. Les dépenses non couvertes par ce système de socle pourront l’être par des organismes complémentaires soit au titre de la CMU-C, soit au titre d’une complémentaire individuelle (dont celles acquises au titre de l’ACS) ou enfin d’une complémentaire collective (dans le cadre des dispositions prévues par l’Ani).

Comme nous l’avions par ailleurs écrit, il nous semble utopique de vouloir accroître l’autonomie du patient dans le système sans lui octroyer des moyens économiques pour se faire. Il faut rendre concret l’égalité d’accès aux soins. C’est le sens de ce que nous proposons ici. Les complémentaires peuvent avoir une place centrale dans ce double mouvement d’autonomisation et de responsabilisation (mis en avant par les participations demandées aux patients). Elles permettent, notamment, aux patients de concrétiser ses choix sanitaires par des options financières (même dans le cadre de l’Ani si plusieurs types de contrat sont proposés). L’accroissement de l’autonomisation et de la responsabilisation financière de l’usager appelle à un renouvellement souhaité de la place des complémentaires dans notre système de santé.

La question de l’obligation d’adhésion à une complémentaire santé (à l’instar de ce qui existe dans d’autres pays) peut se poser. Une telle contrainte peut entrainer des effets de bord avec notamment la création d’un troisième étage à la fusée avec des remboursements de soins qui ne seraient alors pris par aucune complémentaire et avec la création d’une offre de surcomplémentaire. Pour ces raisons qui reviennent in fine à réduire le champ de couverture des complémentaires, il est possible de préconiser une non obligation à la souscription d’une complémentaire individuelle.

Une fois ces différents éléments cités, il convient d’en tirer les conséquences en termes de méthodologie de financement. En bref, la question posée est celle de la fin des cotisations sociales afin de transférer ce financement sur des outils fiscaux plus larges et n’entrant pas en ligne de compte dans la définition du coût du travail (et, ainsi, ne jouant pas sur la compétitivité coût du travail). Une remarque préalable est nécessaire sur le sujet.

Il nous apparaît fondamental que les cotisations d’AT-MP demeurent pour les employés et les entreprises avec l’accentuation des mesures incitatives (des bonus/malus) pour ces dernières.

Le lien direct entre la situation professionnelle et la cause de la pathologie nécessite le maintien de ce couplage. Sans entrer dans des débats de fiscaliste, plusieurs principes nous paraissent nécessaires dans l’évolution des financements afin de succéder aux cotisations sociales :

– que le financement repose toujours sur les entreprises (dont les décisions, les organisations du travail, et les plans de prévention – des risques psycho-sociaux, des troubles musculo-squelettiques, mais pas uniquement – ont des conséquences sur la santé de salariés) plutôt que sur les individus ;

– que le mode de financement, dans un but d’accompagnement des inégalités sociales, soit corrélé au revenu. Il convient dans cette évolution de dépasser le caractère antiredistributif des cotisations sociales qui, du fait de leur plafonnement, avaient des taux de contribution dont la proportionnalité diminuait avec les revenus des individus.

Une fois ces éléments mis en exergue, il convient de faire le lien avec une mesure préalablement préconisée sur la gratuité des soins. Cette dernière, comme nous l’avions indiqué, entrainerait une rupture philosophique pleinement assumée. Dès sa naissance, le jeune ne serait plus considéré comme ayant droit mais comme assuré social à part entière. Pour le matérialiser, chaque enfant pourrait se voir attribuer à la naissance un numéro de sécurité sociale, comme il l’est déjà aujourd’hui à partir de 16 ans, et être doté d’une carte vitale. Les parents choisiraient le médecin traitant de l’enfant jusqu’à un âge que l’on pourrait appeler la « majorité sanitaire ». Cela renforcerait son indépendance dans la prise en charge de sa santé. Afin de renforcer l’autonomie des patients cette « majorité sanitaire » pourrait être abaissée de 16 ans à 15 ans afin que les jeunes puissent se saisir réellement du contrôle de leur santé (notamment, en matière sexuelle). Ce type de mesure concentre trois avantages majeurs : elle répond à un objectif de santé publique clair, elle favorise la mise en place de nombreuses actions de prévention qui sont les marques de sa réussite, et elle permet l’anonymat de la prise en charge pour les adolescents.

Quentin Demanet, expert associé à la Fondation Jean-Jaurès

Les réformes successives de l’assurance maladie (AM) ont promu une gouvernance plus simple du système à travers un pilotage plus explicite. Malgré le renforcement du rôle de l’Etat aux dépens des partenaires sociaux, l’AM reste une agence indépendante sous contrôle de l’Etat qui voit croître ses responsabilités propres dans la gestion du système. L’étatisation n’est, par conséquent, pas univoque. Il existe trois piliers de la gouvernance : la HAS, l’Uncam et l’Unocam. Ces trois piliers font apparaître un couple AMO (assurance maladie obligatoire) et AMC (assurance maladie complémentaire) qui doivent négocier ensemble la répartition de certaines dépenses. La HAS devient, alors, légitime pour reconnaître ce qui est indispensable dans les soins, de ce qui est complémentaire, voire faiblement utile.

La coordination entre les politiques de santé et les politiques d’AM est difficile. Seule la loi sur le droit des malades de 2002 prévoit une temporalité claire : les choix en matière de politique de santé précédant les choix de financement. Dans toutes les autres lois, l’articulation entre ces trois piliers de la gouvernance n’a été que faiblement explicitée et apparaît comme inefficiente. Chaque institution qui y contribue apporte à l’ensemble sa propre rationalité et son mode de fonctionnement propre. Un pilotage stratégique devrait assurer la mise en cohérence des politiques.

Il est nécessaire de clarifier les rôles de chacun des acteurs. Un transfert de responsabilités devrait avoir lieu entre l’AM et le ministère de la Santé. Il concerne, en premier lieu, les négociations avec les professionnels de santé et la gestion de la médecine ambulatoire. Ce déplacement significatif du centre de gravité de la régulation de la médecine de ville vers l’Etat rend plus explicites des changements déjà engagés dans les rapports entre l’Etat, l’AM, les partenaires sociaux et les représentants des professions de santé. Ainsi, l’Etat par le biais du ministère de la Santé voit ses actions centrées sur :
– le pilotage et la définition de la politique nationale de santé, ainsi que la détermination des grands principes de la régulation ;
– le suivi et l’évaluation de la politique de santé et de gestion du risque ;
– la régulation des alertes sanitaires et la gestion des crises ;
– les stratégies d’organisation de l’offre de santé ;
– les négociations conventionnelles ;
– la coordination des agences sanitaires nationales, des ARS et des caisses nationales de l’AM.

L’AM serait recentrée sur ses missions relatives à la liquidation des prestations – dotations et tarifications des actes – et la gestion des droits des assurés, ainsi que la lutte contre la fraude. Elle conserverait les actions en lien avec le développement de la qualité et de l’efficience des actes et des pratiques, le conseil en santé et avec le contrôle des prestations. Il ne lui appartient pas de recommander une technique, un établissement ou un professionnel. Ces actions dépendent de la HAS ou in fine de la politique de santé définie par le ministère. Elle a une responsabilité dans l’information de l’assuré. Celle-ci pourrait s’étendre et englober également l’éducation thérapeutique.

Cette réorganisation de la gouvernance doit s’accompagner d’une régionalisation plus aboutie. Elle seule est la garantie d’une prise en considération des spécificités territoriales et de l’adaptation de l’offre de soins aux besoins de la population. Un tel objectif passe par un renforcement des pouvoirs des ARS notamment sur la médecine libérale mais surtout par la création de délégations territoriales dans toutes les ARS. Ces dernières obtiendraient des réelles délégations de gestion de la part du siège de l’ARS. Afin de mener de tels projets, le fonds d’intervention régional mutualisant des crédits, auparavant cloisonnés (ville, hôpital, prévention) et mis à la disposition des ARS, doit voir son montant progresser. Le rôle des ARS doit être clarifié par rapport aux hôpitaux. Leur mission est de contrôler et restructurer ceux-ci, et non de s’immiscer dans la gestion des établissements. Tout comme la médecine de ville est régulée à travers des conventions nationales et régionales, les directeurs des établissements doivent être responsabilisés et évalués sur des objectifs précis.

Afin de permettre à la démocratie sanitaire d’exister au niveau local, des chambres régionales de santé peuvent être instituées.  La création des ARS n’avait été équilibrée par aucun contre-pouvoir organisé, même si la loi prévoit des CS et des CRS. Leurs pouvoirs sont trop souvent limités ou peu définis. La régionalisation de la régulation du système de santé – voulue par la création des Urcam et des ARS – ne s’est pas traduite par un renforcement de la démocratie sanitaire au niveau local. Le renforcement du rôle des ARS n’est possible qu’avec la mise en place de manière concomitante d’instances démocratiques fortes. A la différence des CRS, les chambres régionales de santé qui s’y substitueront associeront les représentants territoriaux des trois démocraties : représentative, sociale et sanitaire. Elles auraient un rôle décisionnel et pas seulement consultatif sur les actions des ARS. Elles pourraient être animées par les conseils régionaux et être liées à ceux-ci, qui obtiendraient une vraie compétence dans le champ sanitaire.

Propositions :

1. Redéfinir les rôles respectifs de l’AM et de l’Etat en matière de politique de santé.

2. Création de directions territoriales avec une délégation de gestion conséquente dans toutes les ARS.

3. Mener la régionalisation de la gouvernance de l’AM à son terme avec notamment la création de chambres régionales de santé et un renforcement des compétences, des prérogatives et des moyens des ARS.

Une refonte de l’AM est rendue nécessaire afin d’améliorer son efficience

L’existence des trois régimes distincts trouve son origine dans l’existence d’importantes différences de situation entre professions et dans la constitution du mouvement mutualiste. Ces caractéristiques se sont considérablement atténuées et le maintien de ces différents régimes, et des délégations de gestion, doit aujourd’hui être remis en question afin d’améliorer l’efficience de l’AM. Un régime universel doit être mis en œuvre afin de simplifier le système de protection sociale et diminuer les coûts de gestion de l’assurance maladie.

L’affiliation à un régime de base n’est plus seulement déterminée par le critère socioprofessionnel, depuis 1999, mais aussi par le critère de résidence. La vérification de ces droits mobilise énormément de personnels. Ouvrir le droit à l’AM à tout résident majeur simplifierait l’ouverture de droits et assurerait la continuité de la prise en charge. Cette mesure permettrait par une gestion optimale des prélèvements sociaux, en supprimant les coûts des contrôles systématiques d’affiliation. En 2008, les dépenses de gestion administrative se sont élevées à 10,2 milliards d’euros, soit 3,4% des produits du régime général. Les dépenses de personnel ont crû d’1% du fait de gains de productivité réalisés et représentent 7,01 milliards d’euros en 2008.

Limiter les vérifications sur l’affiliation permettrait d’assoir le rôle clef de l’AM dans le contrôle des prestations – ALD, hospitalisation, arrêts de travail et invalidité – et dans l’étude de la pertinence des actes. La dispersion actuelle des trois principaux régimes d’AM nuit à son efficacité dans ces tâches alors que la fraude, facilitée par la lourdeur de l’organisation, représente un vrai manque à gagner pour l’AM (environ 384 millions en 2009). La mise en œuvre de services efficaces de lutte contre la fraude aurait permis une économie de 850 millions entre 2005 et 2011. Pour améliorer cela, il est possible :

– de créer un service unique de contrôle indépendant des services administratifs. L’indépendance de ce service est nécessaire et doit être contrôlée – par le conseil d’administration de l’Uncam – pour qu’il n’y ait pas de conflit d’intérêt entre le rôle de payeur de l’AM et son rôle de contrôle ;

– de recruter des hospitalo-universitaires consultants et des praticiens hospitaliers retraités volontaires qui assumeraient la fonction de conseil dans les décisions du service médical en matière d’hospitalisation ;

– d’augmenter les effectifs du service médical par rapport aux effectifs administratifs. Le ratio est actuellement 1 médecin pour 85 salariés alors qu’il s’agit de contrôles de prestations médicales.

Par ailleurs, la structure actuelle de l’AM ne permet pas d’assurer l’équilibre financier de tous les régimes. Un système de compensations inter-régimes pallie les déséquilibres financiers et démographiques. Un régime unique permettrait, ainsi, une péréquation automatique de toutes les ressources encaissées pour le financement de l’AM. La gestion de ce régime maladie unique pourrait être confiée dans un premier temps à l’Uncam – qui fixe les décisions d’admission au remboursement ainsi que le niveau des remboursements – et par la suite à une agence de financement de la santé ou une agence nationale de santé (ANS).

Propositions :

1. Un système universel d’AM doit être promu pour améliorer l’efficience – financière et organisationnelle – du système.

2. Les délégations de gestion de l’AM – Sécurité sociale étudiante, par exemple – doivent être supprimées.

3. L’accès à l’AM doit passer d’un double critère (emploi et lieu de résidence) à un critère unique : la résidence.

4. Créer un service indépendant de contrôle des prestations afin d’éviter à l’AM d’être juge et partie dans ces activités de contrôle.

5. Recruter des hospitalo-universitaires et des médecins afin d’améliorer l’efficacité du contrôle des actes médicaux et des prestations associées.

Deux scénarios de réorganisation peuvent être distinguées : une agence de financement ou une agence nationale de santé

Il n’existe pas actuellement d’acteur unique en capacité de réguler le système de santé, c’est-à-dire capable de trouver un équilibre entre les objectifs d’amélioration de la santé de la population et la maîtrise des dépenses. Un tel acteur garantirait la cohérence du pilotage national du système de santé et de solidarité.

Afin de promouvoir un véritable pilotage national des politiques de santé, il est possible de militer pour la mise en œuvre une agence nationale de santé (ANS). Elle serait une autorité technique disposant d’une relative autonomie dans l’exercice de ses missions ou serait placée sous l’autorité directe du ministre de la Santé. Elle regrouperait certaines activités de l’Etat, de l’AM et celles de la HAS, du CNSA et du HCSP. Elle intègrerait l’ensemble de la politique de régulation sur tous les champs d’intervention en faveur de la santé (ville, hôpital, médico-social). Les activités de sécurité sanitaire seraient assurées par des agences spécifiques et indépendantes au niveau national et par les ARS au niveau local. Les agences de sécurité sanitaire ont acquis des compétences et des savoir-faire non facilement remplaçables. L’ANS réunirait les forces de l’Etat et de l’AM sous une même autorité et définirait les lignes directrices des ARS. Un conseil de surveillance présidé par le ministre de la Santé et regroupant tous les acteurs de la démocratie sanitaire définirait les orientations de l’ANS et évaluerait son action. Comme les ARS au niveau régional, elle est une « maison commune » qui a en charge :
– les stratégies d’organisation de l’offre de santé ;
– le financement des activités (dotations, tarification des actes) ;
– la politique de gestion du risque ;
– les négociations conventionnelles ;
– le développement de la qualité et de l’efficience des actes et des pratiques.

La création de l’ANS redéfinirait le rôle de l’AM et celui du ministère de la Santé. L’AM serait recentrée sur ses missions relatives à la liquidation des prestations et la gestion des droits des assurés, ainsi que la lutte contre la fraude. Les actions du ministère de la Santé seraient concentrées sur la coordination et la définition de la politique nationale de santé, sur l’élaboration des grands principes de la régulation, la gestion des alertes sanitaires et la coordination des agences sanitaires nationales.

Deux risques majeurs sont associés à ce projet. La création d’une entité de cette taille et de cette ambition peut amener à un objet administratif non identifié et, surtout, non contrôlé. L’ANS ne peut remplir ces missions que si elle se substitue réellement aux autres acteurs. De telles opérations entraînent nécessairement des conflits de légitimité et des freins aux changements. Une substitution partielle n’est pas à écarter. D’autre part, elle encourt le risque d’une technocratisation qui limiterait son efficience.

Une option intermédiaire entre l’ANS et la mise en œuvre nécessaire quel que soit le scenario retenu, des principes édictés précédemment serait la création d’une agence nationale de financement de la santé.

Celle-ci créerait une unité de trésorerie entre les hôpitaux et l’AM. Les hôpitaux publics ne seraient pas influencés et préserveraient leur autonomie de gestion. Cette centralisation de trésorerie permettrait notamment :
– à l’Etat de bénéficier des excédents de trésorerie des hôpitaux. L’Acoss pourrait emprunter à taux plus bas ce qui réduirait le coût de l’endettement du régime général.
– l’augmentation de l’encours moyen mensuel et annuel de la trésorerie de l’Acoss grâce à une centralisation des trésoreries des établissements.

Outre la mise en œuvre d’un acteur unique dans la prestation, il est possible d’œuvrer pour la mise en œuvre d’un financeur unique. Afin d’éviter la création de structures ad hoc et nouvelles, il est possible d’étendre et de transformer les missions de l’ACOSS. A défaut de créer une ANS, le Cercle santé innovation promeut la création d’une agence de financement. La mise en œuvre de cette entité va de pair avec l’application des principes exprimés précédemment.

Position du cercle santé innovation sur l’alternative :

– Le scénario de l’ANS est séduisant mais peut conduire à une technocratisation du système. Il faut militer pour l’aboutissement, à long terme, de ce modèle. A court terme, il faut se concentrer sur la mise en œuvre la fusion des trois régimes généraux et porter la clarification du rôle des acteurs.

– La mise en œuvre d’une agence de paiement unique serait une deuxième étape pertinente avant la création de l’ANS.

Propositions :

1. Créer une agence unique de financement qui financerait les hôpitaux et la médecine ambulatoire grâce à une modification des statuts de l’Acoss. Elle serait le pendant, du côté prestations, d’un régime universel d’AM.

2. Rationaliser le nombre et les missions des agences intervenant dans le domaine sanitaire à défaut de créer une ANS.

3. A long terme, œuvrer pour la création d’une agence nationale de santé.

Quentin Demanet, Fondation Jean Jaurès

Si instaurer un reste à charge zéro sur le dentaire, l’optique et les prothèses auditives, peut paraitre un investissement intéressant afin de faire bénéficier plus de citoyens à des soins courants, cela va à l’encontre d’un mode de fonctionnement établi. Plus le co-paiement d’un service ou d’un bien est faible, plus l’acceptation pour ce bien ou service de faible qualité est élevée. La présence d’un co-paiement est ainsi considérée comme une condition indispensable pour rendre l’assuré sensible à la valeur du bien ou du service en question.

Instaurer un reste à charge zéro sur ces prises en charge implique donc un risque pour le patient (considéré comme consommateur dans une acception économique) quant à la qualité des soins courants prodigués puisque ce dernier aurait tendance à accepter plus aisément une baisse qualitative de la prestation. Or, la spécificité du système français, bien que coûteux et inégalitaire pour partie, réside bien dans la qualité des prestations fournies. Il existe donc ici un risque inhérent à la baisse du reste à charge.

Il appartient aux pouvoirs publics de circonscrire ce dernier de veiller à un maintien, et mieux, une amélioration continue de la qualité des soins. La question se pose ainsi de savoir si le Rac zéro peut aller de pair avec l’efficience ? De quelle efficience nous parlons ? Et sous quelles conditions la réaliser ?

L’efficience rattachée au reste à charge zéro

Dans le système de santé, l’efficience désigne avant tout un rapport d’optimalité de la production de soins, aussi bien au sens de l’obtention maximale de résultats pour un montant donné de ressources qu’au sens d’une minimisation des moyens engagés pour un niveau donné de soins. Obtenir de fait une prise en charge de qualité médiocre pour un coût zéro serait, sous ce sens, tout autant efficient qu’une prise en charge de très bonne qualité pour un coût très important. L’efficience ne décrit ainsi rien, ni sur le niveau optimal des soins délivrés, ni sur le niveau optimal de la dépense. Qu’entend-on alors derrière le sens d’efficience rattaché au terme de Rac ?

Pour s’approcher d’une réponse, il faut revenir au sens même d’efficience tout autant qu’à la philosophie originelle de mise en place d’un Rac zéro. Le terme efficience est la contraction des termes efficacité et qualité. Dans notre exemple, il s’agit donc d’assurer une qualité de prise en charge importante, jugée comme socialement acceptable par l’ensemble (représentation nationale), au coût le plus approprié possible, c’est-à-dire celui qui permettra de fournir l’optimum de qualité pour le minimum de coût.

La mise en place d’un Rac zéro vise de son côté à fournir à plus d’individus une prise en charge sur ces trois secteurs avec l’idée que cette dépense aura un impact positif sur leur niveau de santé. En ce sens, le Rac le plus efficient vise alors un investissement optimisé et donc un impact de la dépense la plus forte sur le niveau de santé des individus qui seraient amenés à en profiter. Un exemple peut être pris à travers la notion de prévention.

A travers un Rac zéro, il peut être attendu une plus grande prévention de la part des individus à leur santé sur ces trois secteurs, prévention dont les résultats économiques dépassent très largement la dépense engagée (ratio de 1€ pour 10€ économisé dans le domaine de la santé). Ouvrir ces trois secteurs à un reste à charge zéro est ainsi efficient si l’impact sur le niveau de la santé est important, ce qui est démontré aujourd’hui par l’impact négatif de la sous-consommation de soins.

Les lunettes et le dentaire dont le Rac zéro pourraient être mis en œuvre pour le public jeune tandis que les prothèses auditives pourraient n’être prises en charge sans coût que pour un public plus âgé

Un second élément de réponse repose sur la spécificité du domaine de la santé. Individuellement, les soins non effectués au moment adéquat entrainent des soins plus lourds et plus chers pour l’ensemble de la collectivité. Pour améliorer l’efficience du système, il convient donc d’éviter les retards de prise en charge. Pour cela, il faut réduire la sous-consommation de soins, schématiquement déterminée par deux leviers : les facteurs économiques d’une part et socio-culturels d’autre part. Si la seconde thématique ramène à la question de la prévention et de la réception socialement déterminée de cette dernière, la première s’inscrit pour sa part dans le cadre d’une réduction du reste à charge.

Favoriser un reste à charge minimisé ou nul pour certaines catégories de population, en ce sens, améliorerait l’efficience du système si et seulement si, la qualité des prestations assurées est également au rendez-vous. Parler d’efficience du reste à charge ramène alors à la question des garde-fous installés pour contrebalancer/préserver de la tendance naturelle à la diminution de la qualité (soit pour en diminuer le coût du côté de l’offreur et donc le profit, soit l’acceptation plus aisément réalisable du côté du consommateur).

Afin de disposer de garde-fous et ne pas ouvrir de guichet ouvert, ce reste à charge minimisé ou annulé doit alors s’intégrer à notre sens dans la notion de parcours de soins prédéterminé. Cette prédétermination ne peut s’inscrire que pour les publics les plus démunis face aux coûts de santé et en même temps ceux sur lesquels l’impact de la disparition du coût est la plus forte. Une différenciation doit alors être établie entre les lunettes et le dentaire dont le Rac zéro pourraient être mis en œuvre pour le public jeune tandis que les prothèses auditives pourraient n’être prises en charge sans coût que pour un public plus âgé.

Inévitablement se pose également la question du financement de cet investissement tout en maintenant une qualité importante. Une des solutions pourrait être imaginée à travers les réseaux de santé mais il s’agirait, à notre sens, en l’absence de barrières préalablement fixées d’une  erreur.

En effet, au-delà d’entrainer une médecine à plusieurs vitesses et de ne pas résoudre la question des inégalités sociales de santé, le réseau par définition emporte au moins deux conséquences négatives. En déstructurant la relation médecin-patient fondée sur la liberté (choix, prescriptions, installation) et la responsabilité professionnelle, il pénalise le patient qui exercerait sa liberté de choix. Tandis que de l’autre côté, il déresponsabilise de la qualité de son acte le professionnel de santé conventionné qui doit d’abord répondre au cahier des charges du réseau dont un des critères peut être le prix avant de répondre à l’intérêt qualitatif pour son patient.

Pour autant l’absence de toute forme de coordination ne permet pas de réduire les coûts et il est nécessaire de disposer d’organisations stabilisées et récurrentes. Il apparait alors pour nous qu’une manière de contourner cette apparente contradiction repose sur la possibilité de choisir entre différentes organisation ou in fine de permettre aux patients de faire leur choix entre différents réseaux ouverts, certifiés et validés par l’assurance maladie obligatoire et non par les complémentaires.

Quentin Demanet et Erwann Paul