Publié le 19 avril 2022

De l’opportunité de refonder le système de protection sociale

Un rendez-vous manqué

Quel est le point commun entre les sujets du climat, de l’Europe et de la protection sociale ? Vous l’avez deviné bien-sûr : il est d’avoir été passé quasiment sous silence pendant toute la campagne présidentielle. Aucun candidat n’a articulé de projet de société, ni proposé d’horizon structurant intégrant ces défis pourtant existentiels.

Concentrons-nous sur le sujet qui nous intéresse ici : celui de la protection sociale. Certes, les candidats se sont opposés sur la conditionnalité du RSA, l’âge de départ à la retraite ou le sort devant être réservé aux personnes âgées dépendantes mais sans qu’aucun fil conducteur ne puisse s’en dégager. Aucun effort de pédagogie n’a été produit pour permettre au corps social de mesurer les enjeux en présence, pas plus que d’objectif ni de sens n’ont été donnés aux réponses envisagées par les candidats. Une simple addition de mesurettes parcellaires et paramétriques ont été avancées, toutes guidées par le souci de préserver le « pouvoir d’achat » sous le sceau duquel cette campagne s’est trouvée imprimée.

Quel gâchis ! Car la conjonction de la pandémie mondiale et du retour de la guerre sur le sol européen réveille les consciences et constitue un moment pour penser l’accompagnement de ces mutations. Or, bien que complexe, la protection sociale imprègne suffisamment notre quotidien pour susciter de l’intérêt. Socle et clé de voûte de notre pacte social, le sujet méritait créativité et énergie.

L’occasion est-elle définitivement manquée ? Sans doute pas car, dans le contexte social délétère et face au risque politique maximal, la refondation du système de protection sociale pourrait constituer une voie d’apaisement en apportant des réponses à nombre des difficultés qui minent le pays.

Une planche de salut

Une voie paraît possible. Elle consiste à élever le débat en se plaçant sur le terrain des fondements plutôt que celui des mesures paramétriques qui cristallisent les oppositions et stérilisent la réflexion. Le sujet doit être abordé de manière globale pour projeter une réforme d’ensemble visant à résoudre, de manière différente, originale et adaptée, un grand nombre des difficultés qui sont aujourd’hui sous nos yeux.

L’Institut pour l’innovation économique et sociale (2IES) s’est livré à cet exercice. Il propose une architecture nouvelle et ambitieuse pour notre système de protection sociale fondée sur la nature des risques. Cette distinction, aussi essentielle qu’aisée à comprendre, commande les mécanismes de leur couverture.

Ainsi, les risques auxquels toute personne est exposée indépendamment de sa situation personnelle seraient intégralement garantis par la solidarité nationale. La collectivité se mobiliserait au profit de ceux qui se voient privés d’une existence convenable par la pauvreté ou la maladie. A l’inverse, les risques résultant de situations et de choix personnels ou professionnels seraient pris en charge dans le cadre de leur mutualisation.

Un nouveau système de protection sociale marchant sur deux jambes

Cette distinction fondamentale conduit à imaginer un système de protection sociale composé de deux ensembles : la Protection sociale solidaire (PSS) et la Protection sociale mutualisée (PSM). Deux « jambes » indépendantes mais dont la coordination et l’étroite collaboration assurent l’équilibre d’ensemble brièvement décrit ci-dessous.

  • La Protection sociale solidaire est destinée à garantir les conséquences de la pauvreté, d’une part, et de la maladie, d’autre part. Elle est gérée par l’Etat et financée par l’impôt.

La garantie de ces risques présente respectivement deux formes : la Protection universelle risque économique (PURE) – innovation – et la Protection universelle maladie (PUMA) – que nous connaissons mais dont les contours doivent être redessinés.

La PURE prend la forme du versement d’une ressource de solidarité, d’un montant de 600 euros par mois, versée à toute personne de 18 ans et plus résidant régulièrement sur le territoire national et cumulable avec des revenus, intégralement à hauteur du revenu médian puis dégressive jusqu’à 3 500 euros environ. Elle est majorée pour les retraités.

La PUMA garantit l’accès aux soins hospitaliers pour tous, la prise en charge des soins des personnes en affection de longue durée, handicapées ou très démunies.

  • La Protection sociale mutualisée est financée par les cotisation sociales et gérée par les organismes de protection sociale.

Elle vise à garantir la perte de revenu résultant d’une incapacité ou d’une invalidité, les dépenses de santé ne relevant pas de la solidarité, la retraite ou encore, la perte d’activité.

La couverture santé est obligatoire, le principe de non-sélection permettant à chacun d’accéder à une protection. La mutualisation de chacun de ces risques peut être opérée au niveau des entreprises ou tout autre périmètre – professionnel, territorial et/ou associatif – pertinent de façon à couvrir la population la plus large. Les dépenses et cotisations correspondantes doivent être équilibrées pour éviter de reporter sur les générations à venir des charges indues.

Un système permettant de relever plusieurs défis

Cette réforme ambitieuse nécessite courage politique et mobilisation de tous les acteurs. Des conditions a priori difficiles à réunir dans le contexte tendu que nous connaissons. Et pourtant ! Ce système permettrait de dissoudre nombre de causes du profond malaise social qui s’exprime dans la rue et dans les urnes. Citons quatre exemples.

  • La nouvelle architecture répond à l’injonction paradoxale de solidarité et d’individualisme qui caractérise les sociétés occidentales. Alors que la Protection sociale solidaire mobiliserait la collectivité au profit des citoyens les plus fragiles, structurellement ou momentanément, la Protection sociale mutualisée prendrait en compte les spécificités des situations personnelles ou professionnelles en invitant ceux qui en relèvent à unir leurs efforts pour se protéger de risques particuliers et ce, dans des conditions qu’ils détermineraient. Ce faisant, émergeraient de nouveaux espaces collectifs de concertation et de négociation au sein desquels les individus « feraient ensemble ».
  • Le retour de l’inflation accroit légitimement l’inquiétude des Français quant à leur pouvoir d’achat. La ressource de solidarité répondrait à la fois au besoin de prodigalité et au sentiment de vulnérabilité manifestés par nombre de personnes. Elle garantirait à tous des moyens convenables d’existence, moyens qui seraient cumulables avec des revenus d’activité, amorçant une spirale vertueuse. Ouverte à tous, les jeunes et les travailleurs précaires seraient néanmoins les principaux bénéficiaires d’une mesure qui augmenterait leur autonomie.
  • L’opacité et la complexité du système actuel minent la confiance et la cohésion sociale. A rebours de cette tendance délétère, le système proposé répondrait aux besoins de transparence, de lisibilité et de quête d’égalité. Par sa transparence, il permettrait de dissiper les doutes qui planent aujourd’hui sur les droits de chacun comme les fantasmes qui se développent au sujet de prétendus droits à caractère faramineux perçus par certains.
  • A l’heure du « quoi qu’il en coûte » et du « pouvoir d’achat-roi », ceux qui plaident pour une maîtrise des dépenses publiques sont quasi-inaudibles. Le fait est que le déséquilibre structurel des finances publiques est patent et insoutenable sur le moyen terme, menaçant l’indépendance du pays. Face à la remontée des taux et à une probable crise économique, dans un environnement géopolitique instable, il est absolument indispensable que le pays retrouve des marges de manœuvre et de pilotage. Le système proposé y contribuerait en responsabilisant toutes les parties (publiques et privées, institutions, opérateurs et bénéficiaires) invitées à définir des droits en phase avec les besoins et les capacités de financement.

Un projet pour un quinquennat !

La campagne des législatives doit conduire à aborder ces sujets et nous espérons que la proposition que nous y versons suscitera de l’intérêt. C’est une piste. Il en existe d’autres. Débattons.

 

Pour aller plus loin : https://2ies.fr/publication/manifeste-pour-une-protection-sociale-du-xxieme-siecle-nouvelle-publication