Publié le 31 juillet 2023

Accompagner l’innovation numérique pour une santé efficiente et plus juste

Par Pauline d’Orgeval, co-fondatrice et présidente de la Société à mission “Deuxiemeavis.fr” et co-fondatrice et co-présidente de l’association CoActis Santé.

Confrontées à un problème de santé sérieux, les personnes malades se trouvent bien trop souvent démunies face à un monde de la santé qu’elles ne connaissent pas et qu’elles ne comprennent plus. Face à la sur-spécialisation des médecins concomitante des progrès continus de la science, face aux dysfonctionnements du système de santé et face aux délais de plusieurs mois pour obtenir un rendez-vous de consultation avec un médecin spécialisé, la société civile cherche à trouver des solutions et les start-up en santé se multiplient.

Mais comment faire pour que ces services numériques soient la clé d’une santé efficiente et juste, fondée sur la confiance, le partage de décision et la démocratie sanitaire ? Comment faire pour éviter les failles idéologiques et organisationnelles ? Quel est le rôle des mutuelles dans ce nouveau terrain de jeu ?

Le numérique pour redonner confiance au patient

Quand une personne se trouve en situation de maladie grave, rare ou invalidante, c’est la double peine : alors qu’elle vit un moment de fragilité, elle se retrouve plongée au cœur d’un monde dont elle ne connaît ni les codes ni le lexique et dans lequel il lui est difficile de se positionner. C’est à ce public que nous nous intéressons aujourd’hui, car c’est à lui que s’adresse le service et l’expertise de Deuxiemeavis.fr.

Avec un service numérique comme deuxiemeavis.fr, c’est la possibilité pour les personnes malades de pleinement participer à la décision médicale les concernant, d’agir sur leur santé et d’accéder à une forme de démocratie sanitaire. Deuxiemeavis.fr répond à plusieurs préoccupations : faciliter l’information des patients qui fonde leur « consentement éclairé » et rendre l’expertise de haut niveau plus accessible, tout en garantissant la confidentialité et la sécurité de la démarche.

En offrant le support d’une technologie moderne pour faciliter l’accès des patients et des professionnels de santé à une information de haute qualité, propre à éclairer la décision médicale, deuxiemeavis.fr se positionne en service utile et innovant respectant le parcours de soins. Il participe ainsi à la démocratisation de l’accès à l’expertise médicale (le service réduit les inégalités sanitaires, sociales et territoriales et évite ainsi les pertes de chances tout en s’intégrant dans le parcours de soins) et il organise un partage du savoir dans le respect du parcours de soins pour une décision médicale partagée (deuxiemeavis.fr formalise et rend transparente la pratique existante et courante chez les médecins de l’avis spécialisé). On est loin d’une quête de pouvoir / savoir, opposant médecins et patients, mais bien d’un service à disposition des médecins et de leur patient pour une confiance mutuelle retrouvée. Outre sa mission (“faciliter l’accès rapide à l’expertise médicale pour tous”), deuxiemeavis.fr s’est donné pour mission d’agir comme tiers de confiance en identifiant des leviers pour permettre aux personnes malades de devenir acteurs de leur santé :

  • En offrant aux patients la possibilité d’identifier des professionnels de santé référents grâce à un annuaire cautionné. Car découvrir sa maladie, c’est se retrouver dans un monde dans lequel on n’a pas de réseau, dans lequel on ne sait pas comment s’orienter, ni à qui s’adresser.
  • En garantissant aux patients d’obtenir un avis complémentaire spécialisé rapidement, en moins de 7 jours, et sans contrainte géographique. Car il faut plusieurs mois pour obtenir une expertise en face à face, et encore faut-il vivre loin des déserts médicaux.
  • En apportant des réponses claires et écrites aux patients, qui ont très souvent une faible littératie en santé. La possibilité de lire et relire les avis des médecins facilite la compréhension de la pathologie et des options thérapeutiques. S’ils le souhaitent, les patients peuvent être accompagnés pour renseigner leur dossier et pour interpréter le compte rendu.
  • En instaurant une nouvelle forme de dialogue entre soignant et soigné. Les patients, mais aussi les soignants, expriment aujourd’hui une grande souffrance et une grande frustration relationnelle. Curieusement, le numérique comme deuxiemeavis.fr apporte une nouvelle forme de dialogue : du temps grâce au côté asynchrone du service mais aussi de l’écrit qui se partage et évite un effet “téléphone arabe”.

C’est aussi le cas de Santé BD (santebd.org), une solution en open source qui concentre sa mission sur une population fragilisée, une population qui renonce souvent purement et simplement aux soins : les personnes en situation de handicap. Un chiffre édifiant : seules 58 % des femmes en situation de handicap déclarent un suivi gynécologique, contre 77 % des femmes dans la population générale. Pour les personnes avec un trouble du spectre de l’autisme ou une déficience intellectuelle, une attente trop longue avant la consultation, du bruit, de l’agitation, un vocabulaire complexe ou tout simplement des professionnels et du matériel qu’ils ne connaissent pas peuvent être autant de freins à une prise en charge réussie. Pour les personnes avec un handicap moteur, ce sont des locaux et des équipements inadaptés ou un professionnel de santé non préparé qui peuvent faire barrière à une consultation de qualité.

Santé BD est un outil de communication en santé compréhensible par tous et qui s’adresse aux patients, mais aussi aux aidants familiaux et professionnels et aux professionnels de santé. Ces supports gratuits permettent en particulier de préparer les consultations afin de diminuer l’angoisse et d’éviter les renoncements aux soins. Les personnes en situation de handicap, pourtant nombreuses, ne doivent plus être moins bien soignées que les autres. L’accessibilité doit être une priorité, un enjeu capital de santé publique.

Le numérique également bénéfique pour les médecins et le système de santé

C’est grâce au numérique, que la société à mission Deuxiemeavis.fr s’inscrit dans une démarche facilitante et réinvente la place de chacun.

Un système de santé potentiellement plus efficient en cas de problème de santé grave

En formulant un avis complémentaire à distance, on agit sur la pertinence des soins et l’engorgement inutile des consultations. Quand l’avis est convergent, le patient se voit rassuré, plus confiant, et présente une meilleure adhésion au protocole médical proposé. Si l’avis est divergent, des solutions alternatives sont proposées et des opérations inutiles sont évitées.

Mieux encore, le service joue un rôle de filtre en qualifiant l’impératif d’une prise en charge et son degré d’urgence. Une offre de soin graduée est en train de se créer avec l’e-santé, avec des services de prévention et de premier recours en médecine générale et en spécialité de ville (avec Doctolib, Maiia…) et des services de deuxième recours (comme Deuxiemeavis.fr).

Mais aussi une réduction des inégalités sociale et territoriale et des pertes de chance 

Pour nombre de personnes confrontées à un problème de santé grave, rare ou invalidant, le simple fait de parvenir à accéder aux soins représente un véritable parcours du combattant. Ici, l’organisation des soins est repensée : pas de limite géographique, pas de zone désertée par les médecins. L’accès à l’expertise médicale est le même pour tous quel que soit le lieu de résidence ou la catégorie socioprofessionnelle du patient…

Du point de vue de la démocratie sanitaire, ici, moins de renoncement aux soins, moins de patients laissés sur le bas-côté : les inégalités sociales sont compensées par un service proposé sans avance de frais et entièrement pris en charge par les mutuelles partenaires notamment.

Mais la santé numérique présente encore des failles

Si elle se veut vertueuse et innovante, la transition numérique en santé demeure toujours en construction et certaines failles freinent encore son développement.

Des freins idéologiques

Pour de nombreux patients et pour certains médecins, la télémédecine est encore considérée comme une sous-médecine, comme un palliatif. Un vrai changement des mentalités doit s’opérer pour que chacun entende la santé numérique comme une offre de soins complémentaire aux consultations physiques, parfois plus efficientes car le numérique permet de s’extraire des contraintes territoriales. L’expertise médicale est en effet très inégalement répartie sur le territoire Français.

Des freins organisationnels 

Malgré la loi Kouchner de 2002 et malgré l’existence de MonEspaceSanté, le dossier médical patient n’est toujours pas numérisé ni partagé. Autrement dit, c’est encore trop souvent un parcours du combattant pour un patient d’obtenir son dossier médical : les patients ne connaissent souvent pas leurs droits, n’osent pas demander leurs examens ou dossier médical, voire se voient opposer des refus.

Une fracture numérique

Sur le plan matériel, l’e-santé fait face à un frein important : celui de la fracture numérique. Pour certains, l’absence de matériel informatique, un ordinateur trop vieux, une connexion incertaine ou tout simplement la peur de ne pas y arriver, représentent une vraie difficulté d’accès à la médecine numérique.

Il est important que les services de télémédecine puissent proposer des solutions pour accompagner ces patients et de ne laisser personne de côté. Chez Deuxiemeavis.fr par exemple, nous avons mis en place dès le démarrage un service patients pour accompagner ces patients éloignés du numérique : le remplissage du dossier médical peut se faire par téléphone et par courrier.

Une fracture économique  

Les start up en santé ont besoin de trouver un modèle économique et bien souvent proposent des services certes efficients mais payant pour les patients ce qui risque d’induire à terme une médecine à deux vitesses. Les mutuelles ne peuvent évidemment pas prendre en charge tous les services et, comme elles sont en train de le faire, privilégient des services à forte valeur ajoutée médicale et qui est soutenable dans le temps économiquement (car avec un retour sur investissement : prévention et donc baisse des traitements, meilleure pertinence des soins etc …).

Une offre de santé numérique pléthorique 

Avec la démultiplication des applications et des services numériques en santé, les patients sont perdus. Une offre de santé numérique officiellement référencée et cautionnée gagnerait en lisibilité et en confiance pour les personnes malades et les professionnels de santé.

La place des mutuelles dans l’innovation numérique en santé

Quelle peut alors être la place des mutuelles et de la Fédération nationale de la Mutualité française dans la santé numérique ? En quoi les mutuelles ont tout intérêt à soutenir son développement ? Et comment peuvent-elles se positionner ?

Un service numérique économiquement vertueux

Un service comme Deuxièmeavis.fr joue sur la pertinence des soins et évite des actes et des opérations inutiles tout en augmentant l’engagement des patients dans leur parcours de soins. Ce système est économiquement vertueux pour le patient, pour l’Assurance maladie et pour les mutuelles.

Depuis le commencement, nous avons la conviction qu’il est essentiel que le service à forte valeur ajoutée de Deuxièmeavis.fr ait un ROI suffisant (retour sur investissement), comme par exemple une réduction effective de l’erreur de diagnostic. Nous avons pu le démontrer à travers une première étude médico-économique sur l’endométriose : grâce à une réorientation fréquente vers des solutions non-chirurgicales, les coûts ont été visiblement réduits. Une deuxième étude sur le rachis va être publiée en octobre 2023.

Les mutuelles ont ainsi économiquement tout intérêt à disposer d’un service comme Deuxiemeavis.fr dans l’offre de soins disponible pour leurs patients.

Un service numérique indépendant 

L’indépendance des services numériques en santé est essentielle. Le risque que l’e-santé soit préemptée par les géants du web est réel. La question de l’origine nationale des acteurs de la santé numérique doit être pensée pour éviter les dérives et garantir une souveraineté numérique.

Les mutuelles peuvent être clairement identifiées comme un tiers de confiance pour les patients. Cette reconnaissance les incite à ne pas proposer des services en marque blanche mais à s’appuyer sur des acteurs neutres et externes.

La santé numérique doit être encadrée et soutenue par les pouvoirs publics et les mutuelles. Des règles doivent être construites pour faire perdurer le modèle sanitaire et social à la française, sans reste à charge pour le patient ou avec un reste à charge très faible.

Le monde mutualiste est un moteur de l’innovation en santé, bien plus que l’Assurance Maladie. Le rôle des mutuelles est double : d’une part, elles choisissent les services qu’elles vont mettre à disposition de leurs adhérents et d’autre part, elles les financent.  

Ainsi, les mutuelles ont un rôle majeur car elles peuvent imposer leurs valeurs mutualistes et un modèle social aux services en santé qu’elles sélectionnent. Cela passe par une exigence envers les start-up partenaires : les sujets de l’inclusion numérique et de l’attention aux plus fragiles doivent être au cœur de la démarche et valorisés dans leurs appels d’offre.