Publié le 4 octobre 2021

Santé : quelles solutions à la pénurie de professionnels ?

De plus en plus, le recours à l’immigration médicale sert de remède à la pénurie des personnels de santé. Certains pays, tels que les Etats-Unis ou le Royaume-Unis sont aujourd’hui dépendants de cette main d’œuvre qualifiée, voire hautement qualifiée. Terra Nova présente ici plusieurs propositions pour ne plus dépendre de ces migrations et, par la même occasion, cesser de contribuer aux déséquilibres internationaux qu’elles creusent.

La mondialisation des enjeux de santé ne concerne pas seulement la circulation des virus, la consommation de soins (« tourisme médical ») et la fabrication des solutions pharmaceutiques. Elle touche aussi la circulation des personnels de santé. Certains pays sont exportateurs nets de main d’œuvre médicale (médecins, infirmiers, etc) et d’autres importateurs nets. Selon Yann Moullan (Moullan, 2014), les plus gros importateurs sont les Etats-Unis (qui captent 60% des médecins migrants) et le Royaume-Uni (20%).

 

L’immigration médicale, variable d’ajustement des ressources en santé

Pour eux, cette immigration est une variable d’ajustement des ressources en santé : les médecins étrangers représentaient ainsi, dans les années 2000, 30% des professionnels en exercice au Royaume-Uni et 24% aux Etats-Unis (Astor et al., 2003 ; Forcier et al., 2004). Ces proportions s’expliquent par le fait que, dans les pays de départ, le taux d’émigration des médecins formés sur place peut être considérable : 99% dans des îles comme la Dominique ou la Grenade, 51% au Libéria, 45% au Zimbabwe, 38% au Ghana, mais aussi 54% en Irlande.

Ces migrations médicales creusent d’importants déséquilibres entre les régions du monde, auxquels s’ajoutent des déséquilibres d’implantation à l’intérieur de chaque pays. L’Afrique subsaharienne qui exporte un quart de ses médecins affiche ainsi la plus faible densité médicale de la planète. Il s’agit en outre d’un important manque à gagner pour les pays qui ont investi dans la formation initiale de ces médecins. Depuis 1951, l’Inde aurait ainsi perdu près de 5 milliards de dollars dans la formation de médecins qui ont finalement quitté son territoire (Martineau et al., 2004). Et ce, alors que l’OMS signale depuis de nombreuses années une pénurie de professionnels de santé à l’échelle mondiale.

L’Europe n’est pas en marge de ce système. Le cas de la France le montre : en France, sur l’année 2020, 14% des médecins nouvellement inscrits au tableau du Conseil national de l’ordre des médecins avaient été diplômés à l’étranger. La même dynamique se vérifie dans d’autres pays d’Europe. Elle dépasse même les 30% en Irlande, en Norvège et en Suisse. Au Royaume-Uni, c’est le cas de plus d’un quart des effectifs en exercice.

Le phénomène affecte également les effectifs d’infirmiers formés à l’étranger, en France et en Allemagne. Quoique croissante, leur part reste très modeste en France (environ 3% en 2015 contre 2,4% en 2010), mais elle approche de valeurs significatives en Allemagne (7% en 2015 contre 6% en 2010). Encore une fois, cette dynamique s’observe dans de nombreux autres pays d’Europe occidentale. En 2014, la part des infirmiers formés à l’étranger atteignait ainsi plus de 13% au Royaume-Uni et plus de 9% en Norvège.

Ces migrations empruntent des chemins le plus souvent frayés par l’histoire, la géographie et les proximités linguistiques. Ainsi, la France recrute traditionnellement ses médecins étrangers non européens dans les pays du Maghreb (Algérie, Maroc et Tunisie). Quant à ceux qui viennent de l’UE, ils ont été principalement formés en Roumanie (où l’enseignement de la médecine se fait encore parfois en français), en Belgique et en Italie.

Cette dépendance à l’immigration médicale dans des pays où la croissance démographique est faible, voire négative, mais où le vieillissement induit des besoins de soins en augmentation, résulte en partie d’un effort de formation locale insuffisant. La comparaison France-Allemagne est ici encore intéressante, modulo d’importantes différences dans l’organisation du système de soins. En Allemagne, l’effort de formation est légèrement orienté à la baisse de 2008 à 2015. En France, au contraire, il paraît beaucoup plus dynamique, mais traduit un effort de rattrapage à partir d’un point très bas en 2008, résultat du numerus clausus à la fin de la première année des études de médecine. En 2008, avec une population 20% inférieure à celle de l’Allemagne, la France fournissait un effort de formation entre 2,5 fois moins important que son voisin.

 

La coopération entre professionnels de santé, lourdement encadrée, peine à imposer un réel nouveau paradigme

 Si, dans le même temps, la densité médicale dans ces pays d’Europe occidentale n’a que légèrement faibli, c’est parce que l’immigration médicale a servi de variable d’ajustement. Sans cet apport extérieur, l’Allemagne, la France et plus encore le Royaume-Uni auraient très probablement vu leur taux d’encadrement médical de la population baisser de manière beaucoup plus franche.

Si nous voulons ne pas dépendre de ces migrations de main d’œuvre qualifiée, voire hautement qualifiée et, par la même occasion, cesser de contribuer aux déséquilibres internationaux qu’elles creusent, plusieurs propositions méritent d’être versées à la discussion publique.

Tout d’abord, poursuivre et éventuellement accélérer l’effort de formation domestique de nouveaux médecins, effort trop longtemps bridé par le numerus clausus dans notre pays.

Ensuite, accélérer enfin la mise en œuvre d’une nouvelle division du travail médical qui délesterait les médecins d’une série de gestes au profit d’infirmiers et d’infirmières formées à ces exercices. Mesure phare du plan « Ma Santé 2022 », la coopération entre professionnels de santé, dont l’efficience et la pertinence ont été largement démontrées depuis les années 2000, demeure lourdement encadrée et peine à imposer un réel nouveau paradigme.

Enfin, soutenir encore davantage qu’on ne le fait déjà le développement de l’exercice coordonné – solution privilégiée par de nombreux jeunes professionnels et notamment par les femmes – dans des structures d’exercice collectif et pluriprofessionnel. La dynamique est là, avec l’essor des centres de santé pluriprofessionnels (455 en 2021, + 21 % par rapport à 2019), l’essor des maisons de santé pluriprofessionnelles (près de 2000 en activité et 400 en projet, + 37 % par rapport à 2019) et la montée en charge des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ; les quelques centaines déjà créées confirment la nécessité d’approfondir l’ambition, pour l’instant inaccessible, du plan « Ma Santé 2022 », qui prévoyait d’en compter 1000 d’ici 2022.

 

Un nécessaire débat de fond pour réformer l’organisation des professions de santé

 L’enjeu des migrations de santé nous rappelle que la réforme de l’organisation des professions de santé appelle un débat de fond sur la vision du système de santé que nous souhaitons voir advenir dans les dix prochaines années, vision qui mériterait de faire l’objet d’une large concertation à l’occasion des élections présidentielles.

 


Par Sébastien Legay, pour Terra Nova