Publié le 25 mars 2022

L’accès aux soins au cœur de la campagne

L’accès aux soins des Français est sans doute le thème qui concentre le plus d’attention en matière de politiques de santé dans cette campagne présidentielle 2022. Contrôle de la liberté d’installation des médecins, rééquilibrage de la « division du travail » en matière de soins en faveur des paramédicaux, numerus clausus… les pistes pour lutter contre les déserts médicaux qui sont présentées dans les programmes présidentiels ne sont pas nouvelles ; mais la priorité désormais donnée à ces enjeux pourrait favoriser une nouvelle façon d’y répondre au cours du prochain quinquennat, associant davantage l’ensemble des parties prenantes, des médecins aux usagers en passant par les paramédicaux et les collectivités.

 

Quel diagnostic ?

Les expressions utilisées pour désigner les difficultés d’accès aux soins des Français sont nombreuses : « déserts médicaux », « zones sous-dotées », ou « sous-denses », « zones carencées ». Il s’agit de territoires où les populations rencontrent des difficultés d’accès aux soins, sous différentes formes : impossibilité de s’inscrire auprès d’un médecin traitant, difficulté à trouver des plages de soins non programmés, délais d’attentes trop longs pour un rendez-vous de spécialiste, etc.

Comment sont identifiées ces zones ? Chaque directeur général d’ARS prend un arrêté régional qui détermine les zones sous-denses en s’appuyant sur une méthodologie nationale, définie par arrêté ministériel. La maille d’action retenue est le « territoire de vie-santé », découpage construit en fonction des possibilités d’accès d’une population donnée aux équipements et services les plus fréquents au quotidien. Le territoire de vie-santé, qui peut se situer sur plusieurs départements ou régions, regroupe en général une ou plusieurs communes : ainsi, il reflète l’organisation des déplacements courants sur ce territoire. L’accessibilité de l’offre de soins a longtemps été décrite par rapport à sa densité et à la distance pour s’y rendre, mais des indicateurs synthétiques existent désormais. L’accessibilité potentielle localisée (APL) prend ainsi en compte ces deux dimensions, ainsi que la structure par âge des populations pour capturer une partie de la demande de soins et l’activité des médecins. C’est désormais l’indicateur principal utilisé par les ARS. Calculé chaque année par le ministère, cet indicateur mesure l’offre médicale disponible en combinant le nombre de médecins généralistes jusqu’à 65 ans, pour anticiper les futurs départs à la retraite ; l’activité de chaque praticien, mesurée par le nombre de ses consultations ou visites effectuées dans l’année ; le temps d’accès aux praticiens ; le recours aux soins des habitants par classe d’âge.

Si l’on se concentre sur les médecins généralistes, qui sont la porte d’entrée principale dans le système de soins, 30 % de la population habite dans ces zones sous-dotées qui concernent désormais non plus seulement des espaces ruraux, mais aussi des villes et des espaces périurbains. La région Ile-de-France vient ainsi de décrocher le titre peu enviable de premier désert médical français : 63% des Franciliens habitant en zone rouge.

S’il n’est pas nouveau, le phénomène de « désertification médicale » s’accélère nettement. Pour la difficulté d’accès au généraliste, en 2012, la proportion de population concernée était de moins de 8 %. Favoriser l’accessibilité des médecins généralistes est un défi d’autant plus crucial que les difficultés vont se poursuivre au moins jusqu’en 2030, avec pour conséquence une raréfaction accrue de l’offre de médecins généralistes.

 

Quels leviers pour l’action publique ?

Les leviers disponibles pour répondre à cette crise sont désormais bien connus, pour certains évalués par la recherche en économie de la santé, et parfois déjà mis en œuvre de façon locale ou sous forme d’expérimentations. On peut distinguer trois grandes familles de mesures.

La première concerne les conditions d’installation des professionnels libéraux. C’est le levier d’action actuellement le plus visible dans le débat public. Il s’agit d’agir, d’une part sur les effectifs de formation (numerus clausus) et, d’autre part, sur les conditions d’installation, soit en recourant à des formes d’obligation (pistes du non-conventionnement ou de la professionnalisation d’une dernière année d’internat), soit en recourant à l’incitation, avec des aides financières de l’Assurance maladie et des dispositifs comme le contrat d’engagement de service public (CESP), le contrat de début d’exercice (CDE), ainsi que les aides accordées par les collectivités territoriales.

Un second régime de mesures possibles concerne le renforcement de l’exercice de groupe et de la gouvernance locale d’une offre de soins en réseau. C’est le levier de transformation que la stratégie Ma Santé 2022, présentée en 2018, entend particulièrement renforcer, en accélérant le déploiement de plusieurs dispositifs comme les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), et en proposant des leviers supplémentaires pour libérer du temps médical, promouvoir l’exercice de groupe, notamment pluridisciplinaire, et redynamiser les soins de proximité. Ce levier fait l’objet d’expérimentations importantes, en particulier pour renforcer l’attractivité de l’exercice coordonné, y compris en basculant d’un mode de rémunération à l’acte à une forfaitisation des parcours. Les politiques de soutien au développement des Maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) font partie de cette stratégie, avec 1600 MSP en 2021, contre une vingtaine seulement en 2008, dont les deux tiers sont localisées dans les marges rurales ou dans des espaces périurbains avec une moindre accessibilité des soins. Comparés à des territoires similaires sans MSP, la densité de médecins généralistes évolue de façon beaucoup plus favorable dans ces territoires, plus particulièrement celle des jeunes médecins, en raison de l’attractivité pour eux de l’exercice en MSP. Il apparaît également que les médecins généralistes exerçant en MSP ont des revenus supérieurs et suivent et rencontrent davantage de patients que dans un exercice solo ou de groupe mono-professionnel. En outre, les exercices regroupés et spécifiquement pluriprofessionnels ont montré à l’occasion de la crise du Covid-19 d’importantes capacités de souplesse, par exemple en matière de recours à la téléconsultation ou de participation à des organisations territoriales.

Enfin, un troisième levier d’action engage des transformations de fond avec l’ambition de faire émerger une nouvelle division du travail médical, de dégager du temps de médecin en recrutant des assistants médicaux et en confiant de nouvelles missions aux pharmaciens et aux paramédicaux (coopérations entre professionnels de santé, délégations de tâches, infirmiers en pratique avancée, nouveaux métiers, déploiement de la télé-santé, etc.).

Du coté des professionnels de santé, ces leviers ne sont pas toujours bien acceptés. Les médecins sont très attachés à la liberté d’installation et, par conséquent, opposés à toute forme de contrainte à l’installation dans les « déserts médicaux », y compris chez les plus jeunes. En matière de division du travail médical, la réticence des médecins généralistes à voir les paramédicaux gagner de nouvelles missions a été confirmée durant la crise Covid. Les paramédicaux, quant à eux, sont davantage enclins que les médecins à un élargissement de leurs compétences afin de libérer du temps médical et participer à résorber les « déserts médicaux ».

 

Un besoin crucial de concertation avec toutes les parties prenantes

Chacun de ces leviers est mobilisé sous une forme ou sous une autre dans les programmes des candidats. Certains leviers ont un impact démontré, mais restent invisibles dans le débat public ; d’autres sont d’une efficacité plus douteuse, mais fortement installés dans l’opinion, en polarisant notamment le débat sur la liberté d’installation. La campagne présidentielle est l’occasion de donner davantage de visibilité dans le débat public aux mesures de transformation en profondeur de l’offre de soins, qui concernent les conditions d’exercice et les missions des professionnels du soin, en termes notamment de division du travail entre corporations.

Il faut se féliciter que le débat puisse contribuer à démontrer que s’attaquer au problème de l’accès aux soins, c’est s’engager à inventer les professions de soins de demain : quels métiers, quelles façons de travailler, pour quels besoins, dans quels territoires ? Dans cette dynamique de changement, la valeur cardinale reste la confiance réciproque des professionnels, des usagers, des collectivités et des administrations : le diagnostic partagé des besoins et la co-construction des solutions font déjà partie de la stratégie de réponse. A l’heure où nous fêtons les 20 ans de la loi du 4 mars 2002 fondatrice de la démocratie sanitaire, souhaitons que le prochain quinquennat permette d’associer les citoyens, les collectivités et les professionnels dans une démarche commune pour affronter le choc d’offre qui s’annonce.

 


 

Par Mélanie Heard, Responsable du pôle santé à Terra Nova