Et si l’espérance de vie en bonne santé devenait la raison d’être de l’assurance santé ?
La France jouit d’excellents résultats en matière d’espérance de vie de nos aînés. En 2017, elle se situait au deuxième rang du classement parmi 35 pays de l’OCDE[1] en matière d’espérance de vie à 65 ans, avec une durée de 21,5 ans (soit un âge moyen de vie de 86,5 ans) et plus de 6 ans gagnés depuis 1970. Il en va tout autrement de « l’espérance de vie en bonne santé »[2], pour laquelle nous nous retrouvons médiocrement au tiers du peloton au côté de la Suisse et du Royaume-Uni, lequel dépense 3 points de PIB de moins que nous pour les soins de santé !
Alors que les assureurs de santé[3] sont contestés par les pouvoirs publics, ils doivent faire la preuve de leur utilité sociale, au-delà de la mutualisation du risque (la solidarité entre malades et bien portants !) qu’ils opèrent depuis leurs origines.
Or, l’action des assureurs de santé peut s’avérer décisive sur la durée de vie en bonne santé des populations dont ils assurent la couverture des risques. La santé d’une population tient majoritairement à des déterminants extérieurs au système de soins : conditions d’environnement, comportements, génétique. C’est précisément là que peut s’exprimer la raison d’être des assureurs de santé. Leur rôle premier est de solvabiliser une demande de soins non couverte par la Sécurité sociale et doit le rester. Ils le font pour 30 milliards d’euros d’indemnisations versées aux assurés chaque année. Mais l’organisation actuelle du financement du système de soins ne leur permet pas d’exprimer leur capacité à accompagner amplement les assurés pour leur recours quotidien aux soins ou la gestion de leur santé. Ceci est d’autant plus regrettable, voire absurde, qu’ils ont précisément la possibilité d’un contact direct avec les assurés au sein des communautés professionnelles (branches, entreprises, administrations…), ou mutualistes. Imaginons qu’un État qui serait moins jacobin leur accorde les moyens d’assurer leur mission. Quelles en seraient les conditions ?
Tout d’abord, les règles de non-sélection et de non-exclusion des risques, ainsi que d’interdiction de la tarification individuelle, doivent continuer d’être impératives.
De plus, l’accès à une assurance santé pour les populations âgées les moins favorisées – environ 40 % des retraités – doit être favorisé, de préférence par un fond de péréquation géré par la profession de l’assurance santé.
Enfin, par un périmètre d’activité et un cadre réglementaire permettant une véritable gestion du risque. Ne leurrons pas les Français, la gestion du risque en santé n’existe pas. Or, sans gestion du risque, pas d’approche prophylactique effective, pas de prévention secondaire ou tertiaire, pas de réduction des biais cognitifs, pas d’accompagnement personnalisé pour le retour au travail ou à une vie sociale, dont on sait que ce sont des éléments déterminants d’une vie et d’un vieillissement en bonne santé.
Il faut confier aux assureurs de santé une mission de gestion du risque pour des pathologies aiguës et des pathologies chroniques correspondant à leur capacité à agir. Ceci concernera des chirurgies fréquentes (cataracte, prothèse de hanche, etc) et chroniques (obésité, diabète, bronchopneumopathie chronique obstructive, etc) et sera adapté aux spécificités professionnelles ou sociales des populations protégées.
Au-delà de son intérêt prééminent de santé publique, un tel projet présente également des enjeux de compétitivité pour nos entreprises, d’innovation technologique et d’emploi de proximité.
Bien entendu, les assureurs de santé devront donner les gages de confiance attendus par les citoyens et les pouvoirs publics : non sélection du risque en santé, renouveau des relations avec les professions médicales, usage des données réservé à la gestion du risque…
Mais c’est en leur permettant d’assumer une raison d’être répondant à un enjeu de société, l’amélioration de « l’espérance de vie en bonne santé », que le rôle sociétal qui est le leur depuis leurs origines trouvera un nouvel élan, au service de l’intérêt général. Plutôt que de « tuer les mutuelles », comme certains veulent le faire par démagogie ou dogmatisme, donnons-leur une nouvelle raison d’être, correspondant aux attentes de la société française !
[1] Panorama de la santé 2017 – OCDE.
[2] L’espérance de vie en bonne santé est le nombre d’années de vie passé sans limitation d’activité, mesurée par l’indicateur GALI (Indicateur Général de Limitation de l’Activité), issu des statistiques de l’UE par enquête déclarative. Bien que cet indicateur soulève des problèmes d’interprétation, il semble confirmer les résultats des enquêtes spécifiques.
[3] Terme retenu pour nommer la mosaïque d’intervenants : mutuelles, mutuelles d’assurance, institutions de prévoyance, sociétés d’assurance.
Par Didier Bazzocchi, Vice-Président du Cercle de Recherche et d’Analyse sur la Protection Sociale (CRAPS)