La santé bucco-dentaire, symbole d’un système en pleine interrogation
La santé bucco-dentaire est une porte ouverte particulièrement éclairante sur les questions auxquelles notre modèle de santé doit apporter des réponses, ou des compléments, si l’on se positionne de manière plus optimiste.
Une acception protéiforme
Protéiforme, elle concerne tous les âges de la vie, chacun d’entre eux devant imposer un comportement adapté. Les enfants, confrontés à une trop grande présence des sucres ajoutés et à des aliments ultra-transformés, doivent être impérativement accompagnés dans l’apprentissage des gestes élémentaires qui leur permettront de traverser leur existence en entamant le moins possible leur capital dentaire. Les adultes, qui doivent anticiper avec célérité toute fragilité, afin de ne pas obérer le niveau de celui-ci. Les seniors enfin, qui doivent accompagner le vieillissement dentaire pour éviter que celui-ci ne participe, voire n’amplifie, une dégradation générale de leur état de santé : l’usure de l’émail, la rétractation des gencives ou encore la limitation de la production de salive ont, par exemple, des effets évidents sur la nutrition, sans même parler des interrogations associées à la maladie d’Alzheimer.
Santé buccale et inégalités
Elle symbolise également les réelles inégalités constatées dans notre pays, qui expliquent à la fois des différences de pratiques et d’accès aux soins entre Français. Ainsi, si la consommation de certains produits dans les catégories les plus aisées de la population peut expliquer un plus fort développement des carries, les mauvaises habitudes bucco-dentaires comme les renoncements aux soins – de prévention comme de curation – sont plus fréquents si l’on se trouve dans les catégories les moins favorisées. La situation sociale des parents, en ce qui concerne la santé des enfants, ou la corrélation entre inégalités sociales et mauvaise hygiène bucco-dentaire sont avérées. Cette situation s’explique à la fois par un facteur économique – coût d’une alimentation de qualité et des soins –, par un facteur sociologique – mode de vie – et par un facteur culturel – information, représentation et codes sociaux.
Un impensé de la prévention
Au-delà des inégalités, la santé bucco-dentaire souffre d’un mal culturel profond, dont notre modèle a beaucoup de mal à se défaire : le rapport à la prévention. Elle est à la fois difficilement associée à la santé de manière générale, peu encline au respect des recommandations, ou encore sujette à la réaction aux signes avant-coureurs de dégradation – comme si l’absence de risque mortel effaçait tout caractère d’urgence –. L’hygiène bucco-dentaire semble encore associée à « autre chose » que la santé, un segment qui pourrait s’apparenter davantage à de l’esthétique ou à du confort. Ainsi, dans les enquêtes consacrées aux renoncements au soin, il est édifiant de constater qu’une part des Français indique ne pas le faire, non pas en raison du niveau de ses revenus, mais bien à cause d’un coût jugé trop élevé.
Dans une logique de rééquilibrage de notre modèle vers une plus forte prise en compte de la dimension préventive, il va de soi que la santé buccale devra faire l’objet d’un travail de longue haleine pour que les habitudes évoluent.
Un accès aux soins plus ou moins difficile
S’il est un sujet pour lequel la santé bucco-dentaire est totalement indexée sur la santé générale, c’est bien celui de l’accès aux soins. Les déserts existent dans ce domaine, comme dans tous les autres, la difficulté de trouver rendez-vous – notamment conventionné – est un réel frein pour de nombreux Français, la hausse du salariat – très développé par la multiplication des maisons de santé – modifie les pratiques plus vite que les habitudes des usagers. Bref, le rapport entre aspect protéiforme du sujet, inégalités et faible logique de prévention est accentué par le difficile accès aux soins que nous connaissons pour l’ensemble des pratiques de santé.
Un ciel qui s’éclaircit ?
Si le constat est assez sombre, assiste-t-on à une prise en compte de la situation ? Du côté de l’offre, la montée en puissance du dispositif « 100% santé », mise en œuvre depuis 2019, semble donner de bons résultats au regard des études disponibles à ce jour.
Néanmoins, plusieurs questions semblent encore rester en suspens et pourraient faire l’objet d’un débat lors des prochains mois, ou au début du prochain quinquennat :
- L’inflation médicale, particulièrement dans le secteur dentaire, du fait des innovations technologiques, se trouve sur une base supérieure à l’inflation générale : cela aura-t-il un impact sur le reste à charge ?
- La montée en puissance du dispositif « 100% santé », dont la mise en œuvre s’appuie en grande partie sur les mutuelles et dans un contexte particulièrement complexe, pourra-t-elle être soutenable sur le long terme ?
- Ce même dispositif a généré des critiques chez certains professionnels qui craignent que les Français ayant le plus besoin d’interventions ne soient pas couverts par le panier 100% pris en compte.
- La lutte contre les déserts médicaux amène certains parlementaires à proposer une hausse des tarifs de facturation pour les dentistes acceptant de s’installer dans des zones peu couvertes. Si l’idée générale est louable, elle rentre en totale contradiction avec l’objectif de santé publique qui consiste à casser les inégalités d’accès aux soins.
- Le dispositif « M’T dents », qui visait à proposer des visites gratuites pour les enfants et les jeunes adultes, ne semble pas atteindre ses objectifs, maintenant la question de la prévention et de la visibilité des dispositifs mis en place.
En conclusion, si nous ne pouvons que constater les récentes avancées dans le domaine, de nombreux sujets restent à traiter pour répondre à l’enjeu de la santé bucco-dentaire. Le continuum que chacun doit prendre en compte impose une évolution profonde et rapide de notre rapport collectif à la prévention. Or, c’est ce domaine qui semble le plus difficile à prendre en compte.
Pour que le ciel s’éclaircisse, c’est en ce sens que nous devrons œuvrer au plus vite.
Par Sébastien Podevyn, expert associé à la Fondation Jean Jaurès