Une main glisse un bulletin de vote dans une urne
Publié le 28 janvier 2022

La santé, enjeu majeur de l’élection présidentielle de 2022 ?

Les propositions des candidats en matière de santé seront-elles déterminantes dans le choix que feront les électeurs en avril 2022 ? C’est l’hypothèse que retient l’IFOP à partir d’un sondage pour Biogaran publié le 11 janvier dernier[1]. Selon cette enquête, 80% des électeurs potentiels fonderont leur vote sur les questions de santé, ce qui en fait leur première préoccupation pour l’élection, devant d’autres enjeux prééminents du débat public – 74% pour l’insécurité qui vient en deuxième rang à égalité avec le terrorisme, 73% pour l’éducation, 65% pour le pouvoir d’achat, 56% pour l’immigration, ou 50% pour la protection de l’environnement. Selon l’IFOP, cette hiérarchie des priorités s’est modifiée depuis la précédente élection présidentielle en 2017, puisque la santé a gagné 18 points.

La santé s’imposera-t-elle pour autant comme un enjeu déterminant de la campagne ? Face à l’offre politique sur les enjeux de santé, l’ambiance générale est plutôt à la frustration devant la qualité du débat public : 50% des Français trouvent que les questions de santé sont « insuffisamment » abordées dans la campagne présidentielle, contre 19% qui estiment que les médias et les candidats en parlent « suffisamment » et 31% comme ils le devraient. Ceux qui jugent que l’on ne parle pas assez de la santé sont nettement plus nombreux parmi les électeurs qui prévoient de voter pour Yannick Jadot (79%) que par exemple parmi ceux qui prévoient de voter pour Emmanuel Macron (39%) ou pour Valérie Pécresse (42%).

Ces résultats peuvent toutefois être nuancés. Lorsque l’objet du sondage n’est pas spécifiquement lié à la santé, mais porte sur l’élection en tant que telle, les réponses apparaissent plus nuancées.

Le panorama offert par le baromètre politique OpinionWay pour Les Echos identifie ainsi quant à lui le pouvoir d’achat comme première préoccupation des électeurs (à 52% le 18 janvier 2022). Toutefois, ce baromètre souligne bien lui aussi la très forte remontée des sujets de protection sociale en janvier (une priorité pour 51% des répondants, +6 points par rapport à décembre), attribuable aux préoccupations liées à la santé et au Covid puisque, note OpinionWay, nettement corrélée au niveau d’inquiétude des Français face à la hausse des cas en janvier. OpinionWay souligne aussi les fluctuations de la proportion de sondés qui déclarent ne pas faire confiance à l’exécutif pour atténuer les effets de l’épidémie : à 54% au lendemain de la grève du 13 janvier dans l’Education nationale, cette proportion est en hausse par rapport à l’automne 2021 (44% en octobre 2021, soit un niveau comparable à mars 2020), mais nettement moindre que son pic atteint en avril 2021 (64%).

 

Une évolution imputable à la crise Covid ?

Un sondage récent Elabe[2] a révélé quant à lui qu’avec Omicron la lassitude ressentie face à l’épidémie augmente fortement (63%, +22 points par rapport à décembre) alors qu’une majorité de Français (58%) pensent que la crise « est loin d’être terminée et reprendra de nouveau fortement ». Mais la lassitude se combine avec une inquiétude et une détermination persistantes, puisque deux Français sur trois environ se disent inquiets de la propagation du virus et 70% considèrent que la protection de la santé justifie des limitations aux libertés individuelles.

 

La préoccupation croissante des électeurs à l’égard de la santé, une évolution liée à la crise du Covid ?

Nombreux sont les sondages, depuis mars 2020, qui ont testé l’hypothèse d’évolutions structurelles liées à la pandémie dans les représentations des Français en matière de santé. Ainsi le Baromètre Santé 360° réalisé par Odoxa cet été 2021[3] avait pointé que 61% des Français considéraient que la crise aura certainement ou probablement changé leurs comportements de prévention et de santé, et que 51% des répondants pensaient que la crise modifiait les relations entre soignants et soignés. Mais surtout, en pratique, 72% ne croyaient pas au caractère structurel ou durable des évolutions ressenties.

De fait, les inquiétudes des Français en matière de santé dépassent le contexte de la pandémie. Certes, de très nombreux sondés par l’IFOP ce mois-ci disent craindre l’impact que peut avoir la crise du Covid sur la qualité (87% d’inquiets) ou le financement (85% d’inquiets) du système de santé. Mais ils sont tout aussi préoccupés par des problématiques plus structurelles (sur liste proposée par le sondeur) comme le déclin de la production de médicaments en Europe (85%) ou l’impact du vieillissement sur l’équilibre du système de santé (82%).

 

Des difficultés perçues d’accès aux soins primaires et une impression de dégradation générale

Il faut surtout relever l’expression de plus en plus nette du sentiment que le système de santé s’est dégradé au cours des dernières années : un jugement que 57% des Français approuvaient auprès de l’IFOP en 2007, puis 70% en 2017, et enfin 74% en 2022.

Le malaise semble concerner en particulier la dégradation de l’accès aux soins primaires, en raison des difficultés ressenties d’accès à la médecine générale et aux services d’urgence : une grande majorité de sondés (70%) déclare avoir déjà dû renoncer au moins une fois à des soins en raison des délais, du coût ou de la distance, et ce souvent au cours des deux dernières années (45%).

Surtout, la perception de ces difficultés a connu une croissance très forte ces quinze dernières années : d’après l’IFOP, la proportion de Français qui ont dû renoncer à consulter un médecin généraliste en raison de délais d’attente trop longs a doublé dans cette période (51% en 2021 contre 23% en 2007). Le nombre de patients qui avancent la distance comme cause principale de renoncement a quant à elle quadruplé (de 6% en 2007 à 28% en 2021). Quant au coût, il était un motif de renoncement pour 5% des répondants en 2007, versus 27% en 2021.

Ces difficultés d’accès aux soins sont un enjeu central des politiques de santé, identifiées comme telles dans la Stratégie nationale de santé. Du point de vue de l’action publique, ces enjeux sont souvent problématisés comme des enjeux d’offre, c’est-à-dire de nombre ou de répartition des professionnels de santé. L’autre cadre mobilisé pour appréhender l’accès aux soins se réfère à la demande, en termes de contraintes, principalement financières, pour les patients. Les questions de représentations, relatives à ce que sont, pour chacun, la santé, la maladie et le besoin de soin, sont également travaillées : c’est là une composante subjective du renoncement aux soins qui rend le phénomène complexe à appréhender. Pour la DREES, dans une étude parue en juillet 2021 portant sur des données de 2017[4], ce sont environ 4% de Français qui affrontent la nécessité de renoncer à des soins chaque année. Moins, donc, que les déclarations recueillies par l’IFOP. Mais l’analyse de la DREES révèle que les personnes qui déclarent avoir renoncé à un soin sont deux fois plus nombreuses que les autres à vivre sous le seuil de pauvreté. Dans tous les cas, les difficultés rencontrées par les Français dans leur accès aux soins apparaissent comme un combiné de multiples facteurs dont chacun, sans doute, mériterait attention durant les mois de campagne à venir.

 


Par Mélanie Heard, philosophe et docteure en science politique, Responsable du pôle santé de Terra Nova.

[1] IFOP, Observatoire Biogaran de la santé au quotidien, 11/01/2022 ; Sur un échantillon de 1004 personnes, sondage réalisé les 7 et 8 décembre 2021

[2] ELABE, Opinion 2022, échantillon de 1000 personnes interrogé les 4 et 5 janvier 2022

[3] ODOXA, Baromètre santé 360, 21/07/2021

[4] DREES, « Renoncement aux soins : la faible densité médicale est un facteur aggravant pour les personnes pauvres », juillet 2021 ; Enquête Statistiques sur les ressources et conditions de vie, auprès de 20500 individus âgés de 16 ans et plus