Sante mentale - illustration
Publié le 14 janvier 2022

La santé mentale dans les soins primaires : vers une meilleure intégration

A la faveur de la crise sanitaire, la santé mentale est devenue une préoccupation collective à mesure que les enquêtes ont rendu compte d’une explosion des troubles dépressifs et anxieux au sein de la population générale, associée à un essor des troubles du sommeil et une augmentation des idées suicidaires.

Près de deux ans après le début de la crise sanitaire, les travaux conduits par Santé Publique France à travers l’enquête Coviprev témoignent d’une persistance des souffrances psychiques, les femmes, les jeunes et les populations les plus précaires étant les catégories à en payer le plus lourd tribut.

Dans ce contexte, les conditions dégradées de la prise en charge des patients ont fait l’objet de nombreuses alertes des acteurs de la psychiatrie. Les constats sont anciens et accablants : dans un contexte de sous-investissement chronique et de croissance continue des besoins en santé mentale, l’offre de soins psychiatriques ne parvient plus à suivre.

Les signaux de délitement sont nombreux : défauts d’accès aux soins, inégalités territoriales, cloisonnements délétères entre ville et hôpital, entre somatique et psychiatrique ou encore entre sanitaire, social et médico-social, désertion des soignants… autant d’indicateurs responsables de ruptures de soins et de pertes de chance néfastes pour les patients mais aussi pour leurs proches. Face à cette situation, de nombreux pays ont imaginé une organisation graduée et plus intégrée des soins, dans laquelle la santé mentale n’est pas l’affaire de la seule psychiatrie.

 

Les médecins généralistes au cœur de la prise en charge de la santé mentale

La place centrale occupée de fait par les médecins généralistes dans le parcours de soins des patients (75% des premières consultations pour trouble psychiatrique se font en médecine générale en France), l’intrication entre santé mentale et santé physique, la proximité comme le caractère moins stigmatisant de la médecine générale plaident en faveur d’une meilleure intégration de la santé mentale en soins primaires.

Pour autant, cette dernière doit être accompagnée pour permettre aux médecins généralistes de relever les défis qui se posent à eux en pratique courante : le temps limité (12 à 15 minutes en moyenne), comme le taux élevé des consultations, le non-remboursement des séances de psychothérapies, le déficit persistant de coopération avec la psychiatrie comme la saturation des centres médico-psychologiques sont autant de facteurs qui altèrent les prises en charge.

De nombreux travaux indiquent ainsi que près de 50 % des patients présentant des troubles psychiatriques fréquents passent sous les radars et ne sont ni diagnostiqués ni soignés, risquant ainsi de connaître une évolution chronique défavorable. Par ailleurs, par manque d’alternatives, les médecins généralistes prescrivent largement des traitements psychotropes, 90 % des prescriptions sont de leur fait, sans toutefois suivre les recommandations de bonnes pratiques.

L’enjeu est donc de doter les soins de premiers recours des outils leur permettant d’améliorer le repérage et la prise en charge des troubles psychiatriques les plus fréquents. Les bénéfices attendus sont doubles : améliorer l’accès à des soins de qualité pour le plus grand nombre et réguler une filière psychiatrique aujourd’hui au bord de l’implosion afin qu’elle puisse agir plus efficacement auprès des patients chroniques les plus complexes et nécessitant des soins spécialisés.

 

La France en quête de modèle

En France, les chantiers ouverts ces dernières années en santé mentale et en psychiatrie ont été nombreux. La médecine de premiers recours, bien que présente dans les mesures mises en œuvre, ne constitue toutefois pas une priorité d’action.

Le remboursement des psychothérapies sur adressage du médecin généraliste est une première réponse, très attendue et à saluer, mais elle répond de façon partielle à l’enjeu de gradation des soins et à l’ensemble des défis qui se posent aux médecins généralistes.

Pour l’essentiel, la main est laissée aux acteurs de terrain pour inventer de nouvelles modalités de coopération. Ainsi, l’élaboration des Projets territoriaux de santé mentale ou encore la constitution des Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) se présentent comme autant de laboratoires d’expérimentation à l’échelon local dont il faudra observer et évaluer avec précision les apports ainsi que la reproductibilité au niveau national.

 

Les soins collaboratifs : un modèle inspirant

Dans ce contexte, les initiatives conduites dans d’autres pays constituent des modèles de prise en charge intéressants qui méritent toute notre attention. C’est particulièrement le cas du modèle des soins collaboratifs. Né à la fin des années 1990 aux États-Unis, il s’est diffusé depuis dans de nombreux pays.

De quoi s’agit-il ? Ce modèle propose de “renforcer” le médecin généraliste à travers la constitution d’une équipe de soins intégrée composée d’un care manager (le plus souvent un infirmier travaillant au sein du cabinet de médecine générale) et d’un psychiatre à distance. Cette équipe rompt ainsi l’isolement du médecin généraliste et permet l’accès à une télé-expertise psychiatrique ; elle peut également s’appuyer sur toutes les ressources utiles à la prise en charge d’un patient donné (psychologues, associations, services sociaux ou médico-sociaux).

Les soins collaboratifs promeuvent une prise en charge globale centrée sur les besoins et les préférences du patient et s’appuyant sur plusieurs principes fondateurs :

  • une approche populationnelle à travers le dépistage systématique de la patientèle.
  • un suivi étroit et planifié des patients se basant notamment sur leur évaluation clinique régulière à l’aide d’échelles standardisées.
  • des soins fondés sur les preuves, réajustés autant que de besoin si l’évolution clinique du patient n’est pas favorable.
  • un partage d’information et une communication étroite des professionnels.

Près de 100 études randomisées contrôlées ont démontré une efficacité accrue des soins collaboratifs dans la prise en charge des troubles dépressifs et anxieux par rapport aux soins habituels : amélioration de l’accès aux soins, meilleurs résultats cliniques, réduction des coûts de santé, plus grande satisfaction des patients et des professionnels sont rapportés dans l’ensemble des études.

Ainsi, la très large évidence scientifique dont les soins collaboratifs font l’objet constitue une invitation forte à nous inspirer de ce modèle, déjà éprouvé avec succès dans le champ des maladies somatiques.

 


Par Johanna Couvreur, cheffe de projet santé mentale de l’Institut Montaigne