Publié le 15 décembre 2021

Le risque de la sédentarité

L’ode à la maison

Depuis la crise sanitaire, la maison et le « chez soi » sont devenus des sujets centraux dans les conversations, et ont tout à coup retrouvé des vertus que l’on semblait ignorer ou minimiser jusqu’à ces grands moments d’enfermement imposés qu’ont été les confinements. Prisonniers à l’intérieur de nos chaumières, nous avons soudainement trouvé que la vie y était agréable, plus reposante et plus sécurisante que le tumulte du dehors, et qu’il fallait d’ailleurs fortifier autant que faire se peut nos prisons dorées au cas où la situation se dégradait de nouveau. Embellir son habitat est ainsi devenu la nouvelle passion des Français : pour 44% d’entre nous, l’habitat a pris plus d’importance avec la crise sanitaire, et 69 % ont le sentiment de s’être davantage occupé de leur intérieur [1]. Par ailleurs, pour 59% des Français, la crise sanitaire a été l’occasion de passer à l’acte et de monter en compétence dans le domaine du bricolage, afin d’avoir un habitat plus sûr, plus sain, plus confortable et plus éco-responsable.

Résultat : à fin octobre, les ventes dans le bricolage étaient en hausse de 15% en valeur, et cela devrai durer : 85% des propriétaires ont un projet d’aménagement dans les deux ans [2].

Tout est donc fait pour se sentir encore mieux chez soi, et pour y passer encore plus de temps. Les livres défendant les adeptes de « l’indoor » ont d’ailleurs la part belle dans les librairies : du célèbre Chez soi [3] de Mona Chollet en passant par Philosophie de la maison [4] d’Emanuele Coccia, les casaniers ont redoré leur blason et ont tout à coup cessé d’être dénigrés, comme si nous avions enfin compris que le bonheur, c’est d’être chez soi, car l’enfer c’est les autres.

Cela se traduit d’ailleurs quand le week-end arrive. Jadis synonyme d’une possibilité festive entre amis, la fin de la semaine n’a plus grand chose à voir avec une ode à la rencontre et à la liberté : pour 37 % des Français, un vendredi soir idéal c’est un plateau télé, deux fois plus qu’une sortie entre amis (15 %) [5]. L’industrie agro-alimentaire a d’ailleurs bien saisi cette grande mutation : dans sa nouvelle publicité pour ses burgers à faire réchauffer au micro-onde, la marque Charal a trouvé comme slogan : « Le soir, vous avez la flemme. Nous, on a la flamme »  [6] tandis que le cinéma a de plus en plus de mal à lutter contre la flemme : le marché des vidéo-projecteurs croît d’environ 50 % par an depuis deux ans, et au premier semestre 2021, les Français ont acheté 50 000 vidéoprojecteurs, selon GfK Market Intelligence France [7].

Tout semble donc fait pour que la « civilisation du cocon » bien analysée par Vincent Cocquebert [8] se poursuive gentiment dans les mois et années à venir, bien aidée par les plateformes de livraison à domicile, les plateformes de streaming et le climat parfois anxiogène qui peut régner dans l’espace public.

 

Le coût sanitaire de la sédentarité

Pourtant, plusieurs éléments devraient nous interpeller quant aux conséquences sanitaires d’une société où la sédentarité devient une norme et qui développe un rapport conflictuel avec l’extérieur en survalorisant le bonheur privé et la vie en intérieur.

Car la sédentarité a un coût sanitaire certain. Selon l’Observatoire national de l’activité physique et de la sédentarité (Onaps), le seul fait d’être assis plus de trois heures par jour est déjà responsable de 3,8 % des décès, toutes causes confondues et quel que soit le niveau d’activité physique en parallèle. En janvier 2018, soit bien avant la crise sanitaire et la découverte des confinements, le temps passé sans bouger (dans les transports, au bureau, devant un écran) était déjà estimé pour les quadragénaires à douze heures lors d’une journée de travail et à neuf lors d’une journée de congé (bien au-delà des trois heures par jour en somme).

L’élément le plus inquiétant concerne sans aucun doute la jeune génération : chez les 7-18 ans, la capacité physique a diminué de 25 % en cinquante ans, augmentant par définition l’obésité et les risques du développement du diabète lié au surpoids. Un certain nombre de médecins font d’ailleurs régulièrement état de leur surprise face à l’apparition de plus en plus fréquente de jeunes atteints de diabète de type 2 (maladie caractérisée par un taux trop élevé de glucose dans le sang), chose quasiment inimaginable il y a vingt ans de cela car touchait d’abord des patients à partir de 60 ans [9].

En outre, selon une enquête de l’Anses [10], publiée en novembre 2020, 66 % des jeunes de 11 à 17 ans « présentent un risque sanitaire préoccupant » car se situent au-dessus des deux heures d’écran recommandées par jour, et en-dessous des 60 minutes d’activité physique quotidiennes. Ainsi, selon l’Anses, 49 % présentent un risque sanitaire très élevé, caractérisé par des seuils plus sévères, soit plus de 4h30 de temps écran journalier et/ou moins de 20 minutes d’activité physique par jour.

Les associations sportives sont d’ailleurs les premières touchées par cette sédentarité, la crise sanitaire ne faisant qu’accélérer une baisse générale du nombre de licenciés qui a démarré au début des années 2000 [11].

Sédentarité, écran, baisse de l’activité physique et donc de la résistance physique : ce n’est pas surprenant de constater que le qualificatif qui revient désormais le plus quand on interroge les Français sur leur état actuel est celui de « Fatigue »  [12].

A l’heure où, afin de susciter des vocations pour devenir agriculteur, le Ministère de l’Agriculture promeut une compétition de e-sport (sport en ligne en intérieur) plutôt que de sport tout court, il ne serait pas inutile de rappeler que santé et intérieur font rarement bon ménage, et que la société de l’intérieur est difficilement compatible avec une France en forme, qui est peut-être en train de réaliser l’exploit de créer par la sédentarité la première génération qui pourrait avoir une espérance de vie plus courte que celle de ses parents.

 


Par Jérémie Peltier, directeur des Études de la Fondation Jean-Jaurès

 

[1] Harris Interactive pour l’Inoha, novembre 2021

[2] « Embellir son habitat, la nouvelle passion des Français », LSA, 26 novembre 2021 : https://www.lsa-conso.fr/embellir-son-habitat-la-nouvelle-passion-des-francais,397736

[3] Mona Cholet, Chez soi. Une odyssée de l’espace domestique, La découverte, 2016

[4] Emanuelle Coccia, Philosophie de la maison. L’espace domestique du bonheur, Bibliothèque Rivages, 2021

[5] Crédoc, enquêtes « Tendances et consommation », février 2021

[6] https://www.youtube.com/watch?v=ox2gqgSc8_A

[7] « Les vidéoprojecteurs font leur cinéma à la maison », L’Express, 24 août 2021 : https://www.lexpress.fr/styles/plaisirs/produit-high-tech/les-videoprojecteurs-font-leur-cinema-a-la-maison_2156792.html

[8] Vincent Cocquebert, La civilisation du cocon. Pour en finir avec la tentation du repli sur soi, Arkhé, 2021

[9] https://www.francetvinfo.fr/sports/la-sedentarite-des-jeunes-une-bombe-sanitaire-a-retardement-aggravee-par-la-pandemie_4445485.html

[10] https://www.anses.fr/fr/content/inactivité-physique-et-sédentarité-chez-les-jeunes-l’anses-alerte-les-pouvoirs-publics

[11] https://www.vivendisports.com/le-mouvement-sportif-face-a-lindividualisation-de-la-pratique-sportive/

[12] https://www.jean-jaures.org/publication/une-societe-fatiguee/