Publié le 25 novembre 2021

Lutte contre les déserts médicaux, repenser l’action pour une plus grande efficacité

La lutte contre les déserts médicaux est aujourd’hui au cœur d’un paradoxe : préoccupation pleinement partagée par l’ensemble des acteurs publics, génératrice de nombreuses initiatives, elle ne débouche pas sur un rééquilibrage concret de la répartition géographique des professionnels de santé au profit des territoires sous-dotés. A quelques mois de l’élection présidentielle, il s’agit donc de faire œuvre utile pour que les débats qui vont s’engager entre les candidats puissent aboutir à une remise à plat dans la manière d’aborder un sujet qui ne cesse de prendre de l’ampleur.

 

Déserts médicaux, de quoi parle-t-on ?

Par désert médical, on entend un territoire « sous-doté » en médecins généralistes. Pour le constater, l’indicateur Accessibilité Potentielle Localisée (APL), développé par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques  (DREES) et l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES), va mesurer l’adéquation spatiale entre l’offre et la demande de premiers soins. L’APL montre une tendance inquiétante : en 2018, 5,7% de la population se trouvait en territoire sous-doté contre 3,8 en 2014. Entre 2015 et 2020, le solde national de médecins généralistes libéraux a baissé de 2700, pour s’établir à 58 649. Concrètement, les communes sous-dotées sont de plus en plus nombreuses et s’inscrivent dans une diagonale partant du nord-est de la France allant jusqu’aux Pyrénées, sans toucher la Côté Océane. S’y croisent des zones rurales, des villes moyennes, des zones périurbaines, y compris en Ile-de-France au sein de laquelle les départements de la grande couronne sont particulièrement touchés. Nombre d’habitants de ces zones se trouvent alors dans l’obligation de reculer ou de renoncer à des soins, faute de généralistes disponibles. Les causes de cette inégalité géographique sont nombreuses, mais 3 d’entre elles peuvent en expliquer l’ampleur : le départ en retraite de praticiens établis depuis la fin des années 1970 ; le maintien d’un numerus clausus – nombre de places disponibles en 2e année de médecine – trop faible dans les années 1990 ; une évolution des aspirations des nouveaux médecins qui intègrent leur équilibre personnel et la qualité de l’environnement du travail dans leurs choix professionnels.

 

Initiatives nombreuses mais efficacité limitée…

Ce constat est aujourd’hui connu de tous et des initiatives se multiplient pour remédier à cette situation. L’Etat, à travers notamment le plan d’accès aux soins (2017) ou la stratégie Ma Santé 2022 (2019), s’est engagé via des aides à l’installation dans les zones en tension, la révision du numerus clausus – afin d’augmenter le nombre de médecins formés – ou en permettant aux médecins généralistes à la retraite de poursuivre leur activité en cumulant salaire et cotisation retraite… Les collectivités territoriales, de leur côté, n’ont pas été en reste. Les initiatives ont été nombreuses tant à l’échelon départemental qu’au sein du bloc communal : bourses d’études accordées contre un établissement, espace de santé intégralement financé par un conseil départemental, création de centres de santé – salariant les médecins – ou de maisons de santé-pluriprofessionnelles – structures privées dans lesquelles les médecins exercent en libéral – dans de nombreuses communes ou EPCI, médecine ambulante avec financement de bus équipés, pour ne citer que quelques exemples. Même les régions ont investi le sujet en créant des maisons régionales de santé !

Bien que nombreuses et diversifiées, l’impact de ces actions est limité. Il l’est par l’absence de coordination entre les acteurs, qui ne permet pas une priorisation en lien avec les besoins, qui souligne la difficulté de l’Etat à assumer l’équité territoriale dans l’accès aux soins de premier recours et qui amène les collectivités à tout tenter pour répondre à une problématique impactante pour leur attractivité. Il l’est également par la nature même des actions engagées. Uniquement incitatives, elles ne semblent pas en mesure d’enrayer une dynamique qui, manifestement, dépasse la seule question des avantages financiers, statutaires ou autres.

 

Un débat national pour changer la manière d’agir

Le prochain débat présidentiel doit donc permettre d’aborder cette situation et de poser les bases d’une réponse plus adaptée. Celles-ci pourraient se résumer en quatre axes : coordination, innovation, coopération, coercition.

Coordination par la mise en œuvre d’une stratégie globale, pensée conjointement par l’Etat et les collectivités, permettant de prioriser les besoins, d’améliorer l’efficacité  des actions et de limiter la concurrence entre territoires. Innovation en poursuivant toutes les nouvelles formes d’exercice médical déjà testées et notamment la télémédecine. Coopération en accentuant la possibilité faite à des professionnels de santé de réaliser certains actes habituellement réservés aux médecins généralistes. De ce point de vue les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), évoqué dans une précédente tribune, constituent un outil efficace pour y parvenir dans de bonnes conditions. Enfin, et c’est certainement ce qui sera le plus difficile à mettre en œuvre, la coercition. Une stratégie globale ne pourra être envisagée qu’en recourant à des outils permettant une régulation directe des installations. Le conventionnement sélectif – l’installation en secteur 1 dans une zone sur-dotée n’est possible que par le départ d’un médecin conventionné – ou le conventionnement individuel généralisé – c’est-à-dire une fixation d’un objectif de postes conventionnés par zones suivant les besoins – sont des idées permettant à la fois de répondre aux besoins des territoires tout en maintenant le principe de la liberté d’installation.

Si la prochaine campagne présidentielle ne permet pas d’enclencher une nouvelle dynamique, la situation de certains territoires deviendra particulièrement délicate et les mesures à engager pour y remédier ne pourront qu’être plus radicales encore.

 


Par Sébastien Podevyn, Fondation Jean-Jaurès