Publié le 4 octobre 2021

Quelques leçons de la crise que nous pouvons retenir…

A quelque chose malheur est bon. La crise du Covid, que nous traversons depuis 2020, avec l’espoir que le plus dur est derrière nous, aura été une épreuve de vérité pour notre système de soins, mettant en avant les failles de celui-ci tout en promouvant des solutions efficaces pour les combattre. Afin de tirer réellement profit de la période, c’est à ces solutions qu’il nous faut nous intéresser, pour retenir les enseignements de la crise, envisager ce qu’elles peuvent nous faire gagner, penser la manière de les encadrer et, enfin, les contextualiser au cœur des défis que nous allons devoir relever.

 

1. Tirer les enseignements de la crise

Le système a finalement tenu, mais il aura montré d’indéniables signes de faiblesse. Pourtant, dans cette période qui aurait pu alimenter la vision décliniste de notre modèle, des éléments ont prouvé que tout n’était pas négatif, à condition de comprendre ce qui pourrait freiner leur développement. Prenons deux exemples positifs, le partage gratuit des données et la coopération territoriale, qui tous les deux permis d’accélérer la gestion et le suivi de la crise.

Dans le premier cas, le succès rencontré par les applications « Covidtracker » et « Vitemadose », développées par le jeune ingénieur Guillaume Rozier, a fortement augmenté le niveau d’information des Français et permis une meilleure mise en œuvre de la campagne de vaccination. Pour y parvenir, il aura fallu intimer au ministère des Solidarités et de la Santé de faire circuler publiquement les données liées à la vaccination pour qu’il accepte de poursuivre son travail et, ainsi, stopper net une polémique qui enflait autour d’un accès isolé à des éléments aussi sensibles. Première leçon : l’open data ne coule pas de source et il faut poursuivre sa mise en œuvre afin de générer des innovations.

Dans le second cas, la coopération territoriale entre acteurs sanitaires aura permis de mieux accompagner les patients et de mieux organiser ce qui relevait de la médecine de ville et ce qui relevait de l’hôpital. Pour autant les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), créées en 2016 par la loi de Modernisation du Système de Santé et qui incarnent cette coopération, n’avaient pas toutes fait avancer la structuration des réseaux de soignants avant la crise sanitaire. Pis, dans certains territoires, les premières semaines de gestion de la Covid ont vu la médecine de ville se trouver particulièrement isolée dans la prise en charge des patients. Seconde leçon : la communication entre univers hospitalier et médecine de ville doit nous interroger et faire l’objet d’un renforcement.

Troisième et dernier enseignement, le monde d’après ressemble souvent au monde d’avant. Nous savons que les crises permettent parfois de mettre en œuvre des solutions disruptives en temps ordinaire, solutions qui peuvent aussitôt être oubliées dès que la vie reprend un cours plus linéaire. Il ne faudra donc pas tarder à agir pour ce qui a été une force le demeure après la fin de la crise pandémique.

 

2. Ce que l’on peut gagner

Une fois ces enseignements évoqués, que peut-on attendre concrètement de la généralisation de l’open data pour les données de santé et de la coopération entre acteurs locaux ? Principalement, des gains de temps. Gain de temps dans la recherche de nouvelles molécules, amélioration des stratégies de traitement, de suivi ou de parcours de soins, c’est à travers le temps gagné que l’on pourra mesurer l’amélioration du système de santé.

Dans une société qui a fait du cloisonnement –  entre acteurs, disciplines et objectifs –  une marque de fabrique, ces deux axes d’amélioration pourraient, non pas révolutionner les choses, mais au moins les impacter fortement et structurellement. A condition de prendre la mesure de leurs limites.

 

3. Ce que l’on doit encadrer

Les datas sont porteurs d’autant de promesses que de dangers ou, comme l’avançait Hannah Arendt, « progrès et accident sont l’avers et le revers d’une même médaille ». Il va de soi que cette prophétie, dès que nous l’appliquons aux données de santé, prend tout son sens. La question de la libération des données doit donc s’accompagner d’une réflexion profonde sur son encadrement, les récentes cyberattaques contre des hôpitaux – rappelons-nous celle concernant les données personnelles des personnes testées par l’AP-HP – constituant un signal d’alerte réel.

La plateforme Health data hub, qui a pour mission de mettre les données à disposition pour favoriser la recherche, a connu les affres de l’encadrement des données de santé en choisissant Microsoft pour leur hébergement. Une polémique s’en est suivie autour de son obligation de respecter la loi américaine du Cloud Act, autorisant le gouvernement des États-Unis à forcer les hébergeurs américains à fournir les données dans le cadre d’une enquête pénale. Même si l’article 48 du RGPD interdit le transfert de données de pays européens vers des pays extérieurs, cette décision fut fortement contestée et elle oblige actuellement le gouvernement à trouver une solution alternative.

Du côté de la coopération entre acteurs locaux, c’est avant tout la capacité à élargir le tour de table à des professions jugées moins centrales dans notre système de soins qui permettra, ou non, de bénéficier demain d’un outil particulièrement efficace pour collecter l’information, la faire circuler vers le bon interlocuteur et en assurer le suivi. Gageons que le Plan d’investissement dans le numérique en santé, outre la modernisation, l’interopérabilité, la réversibilité, la convergence et la sécurité des systèmes d’information, participera à un renforcement des échanges entre tous les acteurs et à la fin d’un cloisonnement délétère.

 

4. Les défis à relever

Pour conclure, arrêtons-nous sur les défis pour lesquels ces deux axes d’amélioration constitueront une partie de la réponse. Tout d’abord, le renforcement de notre système de soins sur l’ensemble du territoire, la question de l’accès à un modèle de qualité, partout et pour tous, devenant plus forte d’année en année. Ensuite, l’évolution de notre modèle vers une vision plus préventive, obligeant à la fois à penser de nouvelles solutions – ce à quoi les data peuvent contribuer – et de nouvelles synergies entre acteurs – y compris médico-sociaux –. Enfin, la prise en compte du vieillissement de la population : avec une explosion du nombre de 74-85 ans d’ici 2030, 25% de la population de plus de 60 ans en 2040, puis un tiers en 2050, et 10 ans de retard d’espérance de vie en bonne santé face à des pays à l’espérance globale identique, la France doit amorcer un virage permettant l’instauration d’une société du bien-vieillir.

 


Par Sébastien Podevyn, expert associé à la Fondation Jean-Jaurès