Image d'illustration sur le sujet des dépenses de santé
Publié le 24 janvier 2022

Repenser les instruments de régulation de la dépense de santé

La situation inédite dans laquelle se trouvent les comptes de la branche maladie ne peut que conduire pouvoirs publics, professionnels de santé et partenaires sociaux à refonder les instruments de régulation de la dépense de santé.

La crise sanitaire a exacerbé certaines faiblesses déjà identifiées de longue date en matière de régulation macro-économique de notre système de santé. Dans ce contexte, la question de l’évolution des outils de gestion de la dépense de santé ne s’est sans doute jamais posée avant avec autant d’acuité.

Pour la CFTC, la période qui s’ouvre doit être l’occasion de rénover l’ONDAM. Dans sa construction actuelle il contribué à assécher les ressources de l’hôpital tout en augmentant les moyens pour la ville sans véritable régulations. Il ne permet plus de répondre aux enjeux de santé actuels : maladie chroniques, parcours de soins et prévention.

 

L’ONDAM : un instrument à bout de souffle ?

Mal connu du grand public, l’Objectif National d’évolution des Dépenses de l’Assurance Maladie (ONDAM) reste pourtant le principal instrument de régulation du système de santé. Il s’agit d’un objectif de dépenses établi au niveau national dont le but est d’influer sur l’évolution « naturelle » des dépenses de l’assurance maladie. Chaque année, les Lois de Financement de la Sécurité Sociale (LFSS) votées contiennent des mesures d’économies ou de moindres dépenses visant à contrer cette évolution naturelle des dépenses de santé. Par exemple, si rien n’avait été fait en 2017 et en tenant compte de plusieurs déterminants tels que le vieillissement, le progrès technique, les dépenses de santé auraient progressé de 4,3%. Or l’objectif de l’ONDAM avait été fixé à 2,1%.

L’ONDAM est donc bel et bien un outil de contrôle des dépenses de santé. Il a d’ailleurs été introduit par les ordonnances du 24 avril 1996 quand les dépenses d’Assurance maladie entrainaient un déficit permanent au sein de la branche dédiée de la Sécurité sociale. L’ONDAM fait l’objet d’un vote annuel par le Parlement, dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale afin de conférer un caractère démocratique à ce puissant levier qui agit sur une masse financière qui avoisine 191 milliards d’euros.

Cependant, il ne constitue pas un budget mais plutôt un indicateur de maîtrise des dépenses de santé. En effet, ce n’est pas une enveloppe fermée et l’objectif fixé n’est pas limitatif. Quand bien même les dépenses sont plus importantes que prévues initialement, les remboursements perdurent.

Par exemple, l’ONDAM avait été fixé à 2,45% par la Loi de Finance de la Sécurité Sociale pour 2020 et en réalité et du fait de la crise Sanitaire l’évolution de la dépense de santé constatée s’est élevée à 9,5%.

Néanmoins, après, une existence de plus de 20 ans, l’ONDAM est aujourd’hui sous le feu des critiques.

Tel qu’il est construit l’ONDAM se structure de la manière suivante : soins de ville, établissements de santé, établissements médico-sociaux (pour les personnes âgées et les personnes handicapées), Fonds d’intervention régional (FIR). Ajoutons, une dernière nomenclature réservée aux « autres prise en charge ».

Dans sa construction, il n’effectue qu’une distinction par acteurs institutionnels, sans tenir compte des dynamiques des activités poursuivies (plus grande spécialisation de la médecine, développement du numérique, nouveaux modes de prise en charge des patients Ville/hôpital).

S’il a permis de préserver le périmètre solidaire du financement des dépenses de santé, il s’avère insuffisant pour accompagner les transformations de notre système de santé : explosion des maladies chroniques, construction de parcours de soins, renforcement de la prévention.

L’ONDAM fixe des « parts de marché » aux différentes composantes du système sur une base historique (établissements de santé, soins de ville) et non selon des besoins de santé. Ce mécanisme d’enveloppe présente un certain nombre d’inconvénients.

L’architecture en différentes enveloppes soutient la tendance à la spécialisation et ne favorise pas la coopération entre les différentes composantes du système de santé.

 

Une régulation macro-économique coupable de l’affaiblissement de l’hôpital au moment de la crise sanitaire

Depuis sa création, le périmètre de l’ONDAM n’a cessé de s’élargir et ce, au moment où les dépenses de santé étaient plus dynamiques et les objectifs nationaux de plus en plus stricts et resserrés.

Prises dans leur ensemble, les économies demandées par l’ONDAM ont été relativement modérées, mais si l’on isole les différentes enveloppes on peut constater que les efforts demandés à l’hôpital ont été particulièrement importants.

Avant la crise sanitaire, l’hôpital était devenu la variable d’ajustement pour équilibrer l’enveloppe globale, faute de régulation suffisante chez les libéraux en médecine de ville. Les dépassements des dépenses en médecine de ville étant systématiquement absorbé par des restrictions budgétaires pour l’hôpital. Quand bien même, les établissements hospitaliers étaient dans le « vert » en sous-exécutant l’enveloppe qui leur était dévolue, ils se voyaient amputé de leurs économies. Les réserves de l’hôpital étant utilisé en cours d’année pour éponger les dépenses non-maitrisées en médecine de ville.

Pour s’adapter à ces mécanismes d’enveloppe « fermée », les hôpitaux ont baissé leurs tarifs entravant ainsi leur possibilité d’investir dans les domaines demandant une restructuration. Pour contourner cette difficulté, les hôpitaux ont accru des volumes d’activité pour y faire face via le mécanisme de la T2A. Cette modalité de financement couplé aux annulations de dotations initialement mises en réserve afin de garantir le respect de l’ONDAM total ont constitué un frein à la lisibilité dont les hôpitaux ont besoin pour décider d’investissements.

Il faut noter d’ailleurs que dans sa construction l’ONDAM ne permet pas de retracer l’investissement hospitalier.

Cette tension financière a conduit le gouvernement à desserrer provisoirement la contrainte à l’hôpital en 2019 (1,5 Md€ et 10 Md€ de reprise de dettes et d’investissement) mais une partie de ces sommes constitué un rattrapage de financements antérieurs insuffisants.

Incapacité des hôpitaux à investir et restrictions budgétaires nous tenons-là les causes de l’affaiblissement de l’hôpital au moment d’affronter une crise sanitaire sans précédent dans notre pays.

Dans sa gestion l’ONDAM est donc en partie responsable de l’asphyxie de l’hôpital public. Cette lente cure d’austérité a entravé les capacités du système hospitalier au moment d’accueillir les malades de la Covid-19 dans les unités de soins critiques.

Les lits de réanimation, de soins intensifs et de soins de surveillance continue se sont révélés insuffisants, pour accueillir l’afflux de malades en urgence vitale et nécessitant des réanimations sur de longues périodes, des transferts de malades ont donc dû être réalisés par convois sanitaires (trains, armées, avions hélicoptères). Cette situation a contraint déprogrammer certaines interventions dans le cadre des différents plans blancs. Le système a plusieurs fois approché du point de rupture en Ile de France. Les taux d’occupation des lits sont aujourd’hui un des indicateurs majeurs pour connaitre la situation d’un département et les restrictions sanitaires qui pourraient en découler.

 

Les ambiguïtés du virage ambulatoire

Cette politique de réduction des capacités hospitalières n’est pas nouvelle. Depuis plus de quinze ans, tous les gouvernements ont souhaité donner une impulsion au « virage ambulatoire » pour des raisons aussi bien économiques que sociales et médicales. L’ambulatoire consiste à chaque fois que cela est possible, à écourter ou à éviter les séjours en milieu hospitalier, en offrant les services au patient au plus près de son milieu de vie. Cette évolution permet ainsi de répondre aux attentes de la population, qui aspire de plus en plus à une prise en charge des soins à domicile tout en générant des économies par l’utilisation optimale des lits et plateaux techniques hospitaliers.

La restructuration hospitalière qui en a résulté a pu rationaliser « efficacement » un certain nombre de services (maternité, chirurgie, cancérologie, soins de suites et de réadaptation, services médecine) mais elle a conduit à des réductions budgétaires dans des secteurs sensibles et essentiels :  celui des urgences et des services de soins critiques.

Le succès du virage ambulatoire dépendait de la capacité de la médecine de ville à prendre véritablement en charge les soins de premier recours et non programmés. Or, dans la réalité, l’absence de moyens dédiés pour organiser les soins en ville et une certaine réticence des professionnels de santé à entrer dans des dispositifs de coopération ou d’organisation territoriale ont eu pour conséquence de raréfier l’offre de soins en ambulatoire.

Lors de sa Contribution à la stratégie de Transformation du Système de Santé (2018), la CFTC expliquait déjà que « tout le volontarisme du monde sur la question du virage ambulatoire et le recentrage de l’hôpital sur ses missions se heurtera à la réalité actuelle de la désorganisation de l’offre de soins en ville ». Déshabiller l’hôpital sans vraiment habiller la ville conduisait à un risque de fragilisation de notre système de santé notamment lors d’épisodes aigus de crise sanitaire.

Pour la CFTC, le virage ambulatoire à la française demeurait ambigu dans sa traduction opérationnelle : politique budgétaire de réduction des lits ou réorganisation d’une première ligne de prise en charge au niveau de la ville ?

L’absence de moyen mis à disposition pour organiser les soins en ville et le manque de stratégie sanitaire face à des risques majeurs, ont eu pour conséquence d’affaiblir les capacités de l’hôpital sans réellement conforter une première ligne de prise en charge au niveau de la ville.

 

Un instrument de régulation déconnecté des besoins de santé et des territoires

La construction de l’ONDAM révèle l’absence de priorités de santé. Cet instrument de régulation ne peut porter des objectifs de santé publique comme la construction de parcours de soins durables ou la structuration d’une offre de premier recours.

L’ONDAM dans sa construction est éloigné des besoins réels de la population. On est obligé ici, de revenir à un élément fondamental : l’ONDAM est construit très en amont pour des besoins de santé très en aval : le soin des patients et leur parcours de santé. L’ONDAM est très segmenté alors qu’aujourd’hui on avance vers une organisation des soins qui demande beaucoup plus de transversalité et beaucoup plus de coopération entre acteur autour du patient du fait du notamment du caractère chronique des pathologies.

Autre évolution, on observe le poids croissant des territoires alors que le mode de répartition des crédits de l’ONDAM est essentiellement national. Les besoins de santé ne sont pas les mêmes d’un territoire à l’autre. En effet, la part de la population âgée ou des personnes vulnérables ou isolées varient fortement d’un territoire à l’autre. L’offre de soins n’est pas la même, lorsque l’on se situe dans les Alpes-Maritimes ou en Corrèze. Or la régulation nationale et ses déclinaisons régionales ne permettent pas d’appréhender suffisamment finement les dynamiques et les besoins de santé des territoires. Les territoires ont des besoins de santé spécifiques et c’est une préoccupation majeure des Français. La politique de santé a besoin des territoires car ils sont les seuls à pouvoir apporter des solutions pragmatiques adaptées aux réalités locales santé (aménagement du territoire, politique de la ville, action sur l’environnement, plus forte intégration de la prévention, des soins et du médicosocial).

Enfin, on ne peut pas négliger le fait que l’ONDAM est un outil de financement qui fait la part belle aux actes et à l’activité. Or, cette modalité de financement qui a tendance à privilégier les volumes à la qualité de soins se heurte à l’émergence de nouvelles organisations de soins. La construction de l’ONDAM ne peut négliger cette évolution fondamentale. Les nouveaux modes de tarification et d’organisation impliquent de changer la construction de l’ONDAM.

 

2022 : année de la réforme de l’ONDAM

La situation inédite dans laquelle se trouvent le système de santé aujourd’hui ne peut que conduire les pouvoirs publics, professionnels de santé et partenaires sociaux à refonder les instruments de régulation de la dépense de santé.

Le Ségur de la Santé a traité une partie du problème en engageant un plan massif d’investissement à destination de l’hôpital tout en revalorisant les salaires des personnels soignants.

Mais ces mesures sont néanmoins insuffisantes. En réalité, il faut revoir en profondeur les modalités actuelles de régulation de la dépense de santé.

C’est pourquoi à la CFTC nous privilégions une régulation de la dépense de santé qui tienne davantage compte des besoins de santé de la population. Cela passe par :

  • Le passage d’un ONDAM annualisé à une loi de programmation de santé sur 5 ans. Cette loi fixerait les grands objectifs de santé sur 5 ans et les moyens humains et financiers pour y parvenir. Les ajustements budgétaires annuels (mesures de gestion courante, ajustements ponctuels…) continueraient d’être votées lors des lois de financement de la Sécurité Sociale (LFSS)
  • Cette loi de programmation serait élaborée via une large concertation mobilisant la démocratie politique, sociale et sanitaire, au niveau national et local, porterait sur l’ensemble des dépenses de santé et déterminerait leur répartition entre financeurs (Etat, collectivités territoriales, assurances maladie obligatoire et complémentaire, ménages, employeurs). Chaque année, le suivi de cette loi de programmation donnerait lieu à un débat annuel afin de vérifier la réalisation des objectifs de santé et les éventuels ajustements nécessaires.
  • Le financement de ces objectifs de santé se fonderait sur l’analyse des déterminants de la dépense de santé : évolutions démographiques et épidémiologiques. Cette programmation comporterait un volet ressources humaines avec une vision prospective à la fois quantitative (effectifs et répartition) et qualitative (formation, compétences, lieux d’exercice…). L’Assurance Maladie le fait déjà très bien dans son rapport Charges et Produits.
  • La mise en place d’un dispositif de réserves prudentielles sur 5 ans. Ces réserves permettraient à terme de limiter l’endettement de notre système de soins lorsque celui-ci est confronté à des crises sanitaires exceptionnelles, ou à des innovations coûteuses non anticipées. C’est le modèle que pratique déjà les partenaires sociaux au sein de l’AGIRC ARRCO.
  • La mise en place d’enveloppes budgétaires par pathologies (cancer, insuffisance rénale chronique). Il faut que l’on puisse donner de la visibilité aux professionnels de santé et tenir compte des nouvelles prises en charge innovantes de ces pathologies.
  • Une garantie de financement pour les urgences, le médico-social et la Santé publique. Ces secteurs ne devraient pas être soumis à des baisses de tarifs ou de dotations en raison de la régulation macro-économique. Ils sont essentiels pour la sécurité sanitaire et la lutte contre les inégalités de santé.
    Les pistes de réforme existent. Il faudra évaluer pour chacune d’elles les leviers d’efficience qu’elles présentent mais également les obstacles qui se dressent à leur établissement. La finalité de ces réformes étant enfin de parvenir à décloisonner les financements de la médecine de ville et de l’hôpital pour améliorer le parcours de soins. Elles devront offrir de la visibilité et de réelles marges de manœuvres à des acteurs de santé déjà fortement éprouvés par la crise sanitaire et les restrictions qu’ils subissent.

Par la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC)