Publié le 27 février 2024

Comment donner un second souffle au sport santé ?

#La synthèse du Lab

L’efficacité du « sport santé » pour prévenir, ou conserver, son capital santé n’est plus à démontrer et sa reconnaissance au plan scientifique est désormais acquise. Toutefois, pour asseoir sa place dans la culture des professionnels et dans le quotidien des personnes, il convient d’activer une série de leviers, parmi lesquels la nécessité de décloisonner cette pratique pour l’intégrer dans une politique globale de prévention, à tous les âges de la vie.

Intervenants :

  • Isabelle Arhant, Directrice régionale, Projet développement innovation de VYV 3 Bretagne
  • Dr Frédéric Depiesse, Médecin du sport à l’Institut mutualiste Montsouris
  • Annabelle Grousset, Présidente de l’Union nationale des Maisons de sport-santé
  • Sébastien Guérard, Président de l’Union nationale des professionnels de santé et Président de la Fédération française des masseurs kinésithérapeutes rééducateurs
  • Andréa Sorel, Vice-Présidente de l’Union nationale des étudiants en Staps en charge des questions de santé

Aujourd’hui, 95% de la population française est exposée à un risque de détérioration de sa santé par manque d’activité physique. Ce sont 37 % des adultes considérés comme physiquement inactifs et 66% des jeunes de 11 à 17 ans qui n’atteignent pas les recommandations d’activité physique de l’Organisation mondiale de la santé. Plus généralement, la sédentarité touche 25 % des enfants de 3 à 10 ans, 50 % des 16 à 17 ans et près de 80 % des adultes.

Ce cocktail d’inactivité physique et de sédentarité engendre un risque accru reconnu de maladies chroniques et de décès prématurés.

Ce constat, très précisément documenté par les travaux de l’Institut de recherche en activité physique et santé (IRAPS, 2019), fait maintenant consensus. La pratique sportive contribue à une meilleure santé physique et mentale, qu’il s’agisse d’entretenir un état de forme, de prévenir les maladies chroniques, ou d’en atténuer les effets. C’est également un puissant levier dans les enjeux de santé publique par une nécessaire lutte contre la sédentarité, une action positive pour le bien vieillir et une plus large inclusion sociale et professionnelle.

Comment aller plus loin ?

Si l’efficacité du « Sport-Santé » est largement documentée, comment passer à l’échelle pour permettre son développement ?

Trois leviers favoriseraient une évolution du modèle :

  • Mieux intégrer le Sport-Santé dans une approche globale de la prévention et investir tous les lieux de vie, de l’Ecole aux établissements médico-sociaux, en passant par l’entreprise.

Il faut soutenir une vision intégrative de la prévention, et dépasser les approches sectorielles : par exemple, la prévention des addictions devrait systématiquement intégrer un volet activité physique, ou encore ne pas s’enfermer dans des approches par pathologie. En cela, une approche globale et graduée tenant compte de la prévention primaire, secondaire et tertiaire permet d’intégrer l’activité physique dans un continuum tout au long de la vie. Chaque âge comporte ses spécificités en termes d’information, de démarche de prévention et de prise en charge. En cela, les technologies de l’information et de la communication peuvent être un allié essentiel grâce à leur transversalité.

L’Ecole est le premier maillon de la chaîne de prévention. Elle est historiquement fortement investie dans ce domaine. Historiquement, les professeurs d’éducation physique et sportive ont été très tôt intégrés dans les équipes pédagogiques. L’importance de développer une culture de l’activité physique auprès des élèves est confirmée, comme le montrent les programmes « 30 mn à l’école » lancée depuis deux ans, les 2 heures supplémentaires d’activité physique au collège, ou encore la récente campagne de Santé publique France « Faire bouger les ados ». Pour autant, les disparités existent et l’appui à la communauté éducative pour soutenir le virage vers une Ecole favorisant le mouvement, reste un besoin non couvert.

Le milieu professionnel a également un rôle majeur à jouer, dans son rôle de préservation de la santé, pour promouvoir la prévention et dans le cadre de la RSE (responsabilité sociale de l’entreprise). On remarque, toutefois, que les salariés favorables au développement d’une politique de développement l’activité physique par leur employeur, sont précisément ceux qui ont déjà une pratique sportive externe à l’entreprise. L’employeur, les partenaires sociaux, les comités d’entreprise doivent s’emparer de ce sujet.

Enfin, alors que nous sommes devant le défi de la transition démographique, la préservation de l’autonomie est un enjeu majeur. Les professionnels du grand âge sont particulièrement sensibilisés et proactifs concernant cette problématique. Au sein des EHPAD, compte tenu des différents professionnels qui interviennent, c’est le lieu où peuvent se mettre en œuvre de vraies synergies entre les professionnels de santé et d’autres professionnels (notamment enseignants APA).

  • Acculturer les professionnels de santé et faire monter en compétence la pluridisciplinarité

L’expérience des Maisons Sport-Santé (lire l’encadré à ce sujet) fournit le constat d’un manque de pratique coordonnée dans la prise en charge des patients, ainsi qu’un manque de connaissance du Sport-Santé par la population. Il reste difficile aujourd’hui de dépasser le « travail en silo ».

Or ce cloisonnement ne favorise pas l’analyse des liens existants entre les déterminants de santé, ni l’acculturation croisée entre professionnels du soin, et entre professionnels du soin et professionnels du sport. Or, l’acculturation de l’ensemble des professions de santé intervenant sur ce champ est une urgence. Ce nouveau paradigme doit trouver sa place dans la formation des étudiants en santé et la mise en œuvre par les professionnels de zones de compétences partagées (en particulier dans le champ du vieillissement).

Cela pose aussi la problématique de la prescription et le rôle du médecin généraliste qui reste aujourd’hui la seule porte d’entrée dans un parcours de sport santé. C’est un paradigme qui doit être dépassé pour fluidifier l’accès des personnes à l’activité physique adaptée, et pour tenir compte du manque de disponibilité médicale.

Plus généralement, et pour tous les moments de la vie du patient, on ne peut faire l’économie de bilans de prévention avec les professionnels de santé lors des campagnes de prévention, ainsi que systématiser les processus de retour d’expérience.

Enfin, c’est également en inscrivant le sport santé dans la formation initiale et continue des professionnels de santé, et en favorisant les formations interprofessionnelles, notamment entre les étudiants des filières sport et santé, qu’on imprimera dans les années qui viennent, une vraie culture du sport santé.

Maisons sport-santé : des missions mal perçues

Dans le cadre de la Stratégie nationale Sport-Santé (2019-2024), et dans l’esprit des très précurseurs réseaux Diabète, ou encore de l’expérience mutualiste d’un Institut Sport-Santé (2008-2010) initiée par l’ancien président de la Mutualité Française, Jean-Pierre Davant, des maisons Sport-Santé ont été créées en 2017, afin d’aborder cette problématique par déterminants de santé, et non plus par pathologies.

En 2023 en France, près de 500 maisons Sport-Santé accueillent, avec ou sans ordonnance, pour une orientation et un fléchage des patients vers des structures adaptées, associations sportives (51 %), sociétés commerciales (29 %), collectivités territoriales, centres hospitaliers, établissements publics, espaces digitalisés ou structures itinérantes. Celles-ci peuvent, selon la situation, proposer un accompagnement à des fins de santé, une activité physique adaptée et sécurisée pour les personnes souffrant d’affections de longue durée ou de maladies chroniques. Les maisons de Sport-Santé interviennent à l’échelle de la région (11%), du département (51%), de la commune (70%).

Ces structures, conçues comme point d’entrée et d’orientation dans un écosystème de soins plus large, sont maintenant questionnées. Financées par les régions, elles souffrent d’une hétérogénéité des budgets consacrés à leur activité et d’une mauvaise répartition sur le territoire. Ce n’est plus un outil d’égalité. Par ailleurs, les missions des Maisons Sport-Santé sont mal perçues par les patients, voire par les professionnels de santé. Davantage utilisées comme un espace d’information (2 500 h d’infos/ an / structure), elles sont pourtant des guichets uniques dont le rôle « pivot » n’est pas suffisamment investi par les acteurs.

En amont d’une interrogation sur les parcours, il faut différencier trois axes de visibilité :

  • La prévention primaire, qui permet davantage de mouvement à chaque moment de la vie
  • La prescription d’activité physique en lien avec une pathologie
  • La prévention tertiaire
  • Créer un écosystème autour du Sport-Santé

Travailler en proximité du quotidien des personnes : à l’échelle locale, les acteurs (professionnels de santé, du sport, élus locaux, établissements de santé et médico-sociaux, écoles, entreprises, associations, etc) peuvent former un tissu suffisamment dense au niveau du territoire, pourvu que l’on interroge les besoins du terrain. En cela, les CPTS (communautés professionnelles territoriales de santé) peuvent participer à cette démarche, en particulier pour l’analyse des besoins, et pour coordonner les interventions des différents acteurs.

Par expérience, la commune est aujourd’hui le partenaire privilégié pour initier au plus près du territoire des actions de prévention et de Sport-Santé. Les municipalités y voient un intérêt pour leurs administrés et un moyen de valorisation du travail des élus locaux.

Toutefois, les Maisons Sport-Santé sont généralement peu identifiées, car elles apportent davantage un réseau que des équipements. D’où la nécessité pour elles de contractualiser avec les différents acteurs susceptibles de proposer les structures d’accompagnement.

Capitaliser sur les expériences : la culture du partage sur les réussites et les échecs des actions en matière de Sport-Santé (mais pas seulement) est insuffisamment développée. S’appuyer sur le retour d’expérience permettrait d’aller beaucoup plus vite dans la diffusion d’organisation et de programmes de sport santé.

Développer la co-construction entre tous les acteurs : c’est un gage de crédibilité et de réussite pour développer des outils et des programmes de sport santé.

Si les expériences locales et le travail des professionnels fournissent les pistes de réflexion en termes d’organisation et d’efficience, ainsi que les outils et les programmes, on ne pourra néanmoins pas faire l’économie d’un dialogue national de l’ensemble des acteurs avec les pouvoirs publics, aujourd’hui insuffisamment investis dans cette politique publique, et la coordination des financements est nécessaire.

Jalons historiques du sport-santé

C’est à partir du début du 19éme siècle que va se développer l’activité physique, tant en France, qu’en Angleterre ou en Suède. En France, la gymnastique prend son essor dans un cadre militaire avant de faire son entrée dans les écoles. En effet, les lois Ferry de 1880 instaurent la gym obligatoire, laïque et gratuite. En 1901, grâce aux lois instaurant la liberté d’association, se créent des clubs sportifs qui remportent un vif succès. Et il faudra attendre 1918 pour que la gymnastique s’ouvre aux femmes. Le mouvement est définitivement lancé.

1972 : création de la Fédération française d’éducation physique et de gymnastique volontaire. Elle compte aujourd’hui 500 000 adhérents, dont 92 % de femmes, 7300 animateurs et regroupent 5440 clubs. Les années suivantes voient la reconnaissance officielle du concept d’« activité physique adaptée » et les Maisons Sport-Santé sont, quant à elles, créées en 2017.

Source : Historique établi par le Dr Frédéric Depiesse