Sport santé : une politique qui reste à financer
Publié le 6 juin 2024

Sport-Santé : une politique qui reste à financer

#La synthèse du Lab

Après avoir évoqué les conditions d’accompagnement des professionnels de santé sur la construction de l’activité physique adaptée, la question de l’adaptabilité au niveau territorial, ainsi que les dispositifs permettant de surmonter les inégalités existantes, il convient d’étudier la question du financement de l’activité physique adaptée.
Actuellement morcelé, assuré tant par des opérateurs publics, que par des acteurs privés, il doit être reconsidéré, à l’aune du coût global de la sédentarité pour l’ensemble de la société. Enjeu majeur en termes de santé publique, le Sport-Santé doit être pensé comme une vraie politique publique et considéré comme un investissement nécessaire pour l’avenir, partie intégrante d’une approche systémique de la santé. Pour en améliorer la soutenabilité, il convient de construire un modèle économique pérenne, accessible financièrement aux personnes qui en bénéficient.

Intervenants :

  • Odile Diagana, Coordinatrice générale d’Azur sport santé
  • Alexandre Feltz, Médecin généraliste, Adjoint au Maire de Strasbourg chargé de la santé, représentant des villes santé de l’Organisation mondiale de la Santé, vice-président de l’Union nationale des maisons de sport-santé, auteur de Sport-Santé sur ordonnance. Manifeste pour le mouvement (éd. Les Equateurs, 2020)
  • Catherine Grenier, Directrice des assurés de la Caisse nationale d’assurance maladie
  • Pierre Rondeau, professeur d’économie, spécialiste de l’économie du sport, co-directeur de l’Observatoire Sport et Société à la Fondation Jean-Jaurès et chroniqueur en économie du sport à La chaîne L’Equipe et à RMC Story
  • Stéphane Suzzoni, Directeur de la maison sport-santé « Mon Stade » (Paris 13e)

Panorama des gains médico-économiques du Sport-Santé

On ne saurait confondre une « terre de sport » d’élite, qui performe, organise de grands évènements sportifs (comme les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris, ou une Coupe du Monde, en se dotant d’infrastructures importantes), avec une « nation sportive », où la pratique sportive comme moyen de prévention est largement partagée par les citoyens. En effet, on ne constate pas de ruissellement entre une compétition sportive de haut niveau ou une olympiade et une pratique quotidienne et durable de l’activité physique ; il n’y a aucun lien direct et fondé entre le sport qui se pratique et le sport qui se regarde. Une « nation sportive » n’est pas nécessairement une nation active et en bonne santé.

Ainsi, le Royaume-Uni promeut le sport, mais a le taux d’obésité le plus élevé d’Europe (idem aux Etats-Unis). De même, bien que la France soit une grande terre de sport (7e nation mondiale, 2e puissance sportive européenne), et bien que son gouvernement ait consacré 250 millions d’euros depuis 2022 à la construction ou à la rénovation d’infrastructures sportives, cet effort financier n’a pas eu d’impact significatif sur la pratique sportive des Français et donc sur leur état de santé.

Pourtant, il est admis que la pratique sportive régulière soutient le bien-être, la productivité, la satisfaction de soi, améliore la prévention, et permet de lutter contre de nombreuses maladies chroniques. En outre, une étude de l’OMS a montré que mettre 1 million de personnes au sport de façon durable permettrait d’économiser 250 millions d’euros.

Pour mettre les gens au sport après des Olympiades, il faut une politique volontariste et durable d’accessibilité culturelle, valorisant la pratique quotidienne et s’adressant à tous. Cela passe par une valorisation de l’activité physique à tous les âges pour le 3ème âge et le grand âge, mais également à l’Ecole (au-delà des heures d’EPS ; le coefficient au bac) ou à l’Université (aide aux associations sportives), et dans tous les milieux de vie, notamment en milieu professionnel (mise en avant de la pratique sportive pour le bien-être des salariés).
Certains pays, comme la Slovénie ou la Nouvelle-Zélande, ont bien compris ces nécessités et ont mis en œuvre une vraie politique sportive transversale.

Nécessité d’un engagement public / politique qui valorise et promeuve le sport-santé

L’implication de l’Assurance maladie

La question du financement du Sport-Santé est déterminante afin d’en faire un levier de prévention (primaire, secondaire, tertiaire). L’Assurance maladie obligatoire a pris sa part dans la promotion de ces sujets, en consacrant, pour la première fois, une partie de son rapport « charges et produits » de 2023 aux gains médico-économiques du sport-santé. Un certain nombre de pathologies (comme le cancer ou le diabète) sont corrélées à un manque d’activité physique : la CNAM s’engage donc pour promouvoir l’activité physique comme comportement favorable à la santé, et plus globalement sur tous les comportements et facteurs qui permettent d’améliorer l’état de santé de la population : l’activité physique, l’alimentation ainsi que la lutte contre les addictions (tabac, alcool, drogues illicites ou médicaments).

Cela passe également par une action de sensibilisation et d’information des professionnels de santé, et notamment les médecins généralistes, en tant que prescripteurs, sur l’intérêt d’intégrer la prescription d’activité physique à but de santé dans leur arsenal thérapeutique.

Pour les personnes malades (souffrant de dépression, de diabète modéré, ou d’obésité modérée, etc) ou en perte d’autonomie, des supports sont nécessaires pour que l’activité physique se développe. Pour la population qui a besoin d’être accompagnée à la reprise d’une activité physique, il est possible de mobiliser son corps de manière simple (la marche, par exemple) ; l’opération « Mon bilan prévention » est une manière de faire le point sur sa santé et de favoriser des comportements favorables à la santé, sujet sur lequel les professionnels peuvent sensibiliser la population.

Le financement et l’intégration de l’activité physique adaptée (APA) dans des parcours de soins fait l’objet d’expérimentations innovantes dans le cadre de l’article 51. Dans un but de généralisation, la CNAM a proposé dans son dernier rapport Charges et Produits de rembourser l’APA, en tant qu’intervention thérapeutique non médicamenteuse, pour les cancers et le diabète, dans le cadre d’une stratégie de montée en charge progressive. Bien que cette proposition n’ait pas été reprise dans la LFSS 2024, elle représente un signal important.

Le sport sur ordonnance

Le dispositif du sport sur ordonnance, également appelé activité physique adaptée (APA) sur prescription médicale, a été théorisé et mis au point par le Dr Alexandre Feltz : il consiste à permettre aux médecins de prescrire une pratique sportive à leurs patients comme un traitement complémentaire ou préventif. Cette prescription peut être destinée à des personnes souffrant de certaines pathologies chroniques ou à risque, telles que le diabète, l’obésité, les maladies cardiovasculaires, etc.
Les patients bénéficiant de cette prescription ont souvent accès à des programmes d’APA encadrés par des professionnels qualifiés, tels que des éducateurs sportifs, ou des kinésithérapeutes. Ces programmes sont conçus pour répondre aux besoins spécifiques de chaque individu en fonction de son état de santé et de ses capacités physiques.
L’objectif du sport sur ordonnance est d’améliorer la condition physique, la santé et le bien-être des patients, tout en favorisant la prévention des maladies et la réduction des facteurs de risque.
Ce dispositif encourage ainsi l’adoption d’un mode de vie actif et sain, en intégrant l’activité physique dans une approche globale de la santé.

Faire de la lutte contre l’inactivité physique et la sédentarité le fer de lance d’une politique volontariste de sport-santé

Compte tenu des enjeux de santé publique, de l’efficacité scientifiquement prouvé de l’activité physique sur la santé et de soutenabilité de notre système de santé, il est impératif l’ensemble des parties prenantes s’engagent pour contribuer et structurer la promotion et la construction d’une vraie politique publique transversale. Cela concerne l’assurance maladie, les mutuelles, les professionnels de santé, les collectivités locales, les employeurs, le monde du sport, l’école, les décideurs politiques…

Dépasser le cadre expérimental pour permettre un meilleur accès à l’activité physique adaptée

Il ne saurait être question de se focaliser uniquement sur les économies ou sur les coûts du sport-santé.

Les expérimentations des collectivités locales

L’action des collectivités territoriales est importante : des expérimentations d’accompagnement pratiques et novatrices en matière de sport santé ont vu le jour à leur initiative.
C’est le cas notamment à Strasbourg, où, malgré l’absence d’une politique nationale, une véritable coopération a été mise en place en matière de sport-santé. Grâce à une importante dynamique des territoires (en particulier l’ARS et l’Union régionale mutualiste de Grand Est), et des médecins engagés, toutes les parties prenantes travaillent ensemble pour constituer sur le territoire une offre importante pour les patients et engageante pour les médecins. Là où les systèmes sont organisés, financés, structurés et lisibles, il y a un engagement fort de tous les médecins, qui peuvent prescrire de l’APA. Grâce à ce système, on dénombre, dans le Grand Est, 1000 inclusions chaque année, 500 000 personnes bénéficiaires, 200 prescripteurs, et à Strasbourg 120 créneaux d’activité physique à visée thérapeutique chaque semaine ; en outre, tous les médecins peuvent prescrire jusqu’à 12 séances d’activité physique accessibles sans frais pour tous les patients en ALD. Cette expérience encourageante a essaimé dans plusieurs autres villes, mais pour garantir une équité d’accès, on ne peut pas se contenter de dispositifs qui dépendent seulement d’initiatives territoriales.

L’expérimentation de Azur Sport Santé

Présidée par Alain Fuch et coordonnée par Odile Diagana, Azur Sport Santé est une association loi 1901 fondée en août 2015 à Nice.
L’expérimentation qu’elle a lancée en 2020, dans le cadre de l’article 51, vise à évaluer l’efficacité des programmes d’activité physique adaptée (APA), et a concerné près de 500 patients, malgré le contexte de la pandémie de Covid-19.

Quelques enseignements de cette expérimentation : une évaluation finale devrait être publiée fin juillet 2024 (ou septembre), mais dans l’intermédiaire, un certain nombre d’enseignements peuvent déjà être tirés de cette expérimentation :

  • Un fort intérêt des patients pour les programmes proposés, avec un taux d’intérêt de 82% pour s’y inscrire. Ce chiffre n’est pas celui du taux d’inscription, compte-tenu du fait qu’il n’est pas toujours possible d’avoir les structures ad hoc à côté de chez soi.
  • Une bonne persévérance dans la pratique de l’activité physique, avec 84% des participants qui continuent à s’y engager. Donc, efficacité des bons outils utilisés.
  • Des abandons (18%), principalement liés à des problématiques de distance géographique plutôt qu’à un manque de motivation.

L’expérimentation fait ressortir deux grands besoins : d’une part, l’accompagnement à un protocole d’activité physique à visée thérapeutique et, d’autre part, la reconnaissance des intervenants (si les enseignants APA commencent à être connus, ils le sont insuffisamment dans le maillage territorial). Elle montre aussi la nécessité d’une certification complémentaire au niveau national (c’est une des propositions du rapport Delandre), ainsi que d’une formation garante d’une continuité après le programme. Elle souligne l’importance de la pratique en groupes.
Cette expérimentation met en lumière l’importance de proposer des programmes structurés et individualisés d’APA, avec un suivi médical approprié. Elle souligne également la nécessité d’harmoniser les pratiques et les financements dans le domaine du Sport-Santé pour assurer une prise en charge équitable sur l’ensemble du territoire.

Une première étape de généralisation de l’accès à l’APA a vu le jour dans le cadre de la LFSS 2024.

Il s’agit des parcours coordonnés renforcés, comportant une approche multi dimensionnelle en fonction des besoins de la personne, et une prise en charge pluridisciplinaire pouvant intégrer de l’APA. Ces parcours permettent de généraliser des expérimentations de l’article 51 évaluées positivement. Le financement sera assuré pour chaque patient inclus par un co-financement de l’assurance maladie et des complémentaires santé.
Ces expérimentations ont permis aux collectivités territoriales de construire des modèles économiques soutenables, qui permettent le retour sur investissement. Leur évaluation positive en termes de bienfaits physiques et aussi médico-économique permettent d’éviter la survenue ou l’aggravation de maladies chroniques. Ainsi par exemple, il a été démontré que 30 minutes de marche par jour sont plus efficaces que le glucophage pour lutter contre le diabète non insulinodépendant de type 2.

Importance de l’activité sportive à l’Ecole

Actuellement la France, à travers son modèle même d’enseignement, fait surtout la promotion de la sédentarité dans le temps scolaire ; on peut se féliciter des « 30 minutes de sport par jour », mais bon nombre d’études montrent clairement que l’on apprend mieux dans une salle de classe qui bouge, que dans une classe statique.
De manière globale, une piste importante est de développer l’activité sportive en milieu scolaire (école primaire, collège et lycée) en s’appuyant sur l’exemple d’autres pays, comme l’Allemagne, qui ont mis en place des systèmes pour bien valoriser la pratique sportive et dont les politiques de santé publique sont fortes et peuvent ainsi créer un meilleur niveau de capacité physique des élèves/jeunes ; ou comme la Nouvelle-Zélande, qui a mis en œuvre, à la fin des années 90, un programme transversal (du « berceau à la tombe ») qui traverse tous les milieux, avec l’implication des médecins. L’environnement de vie est crucial : développer des possibilités d’activités aux abords des écoles, et d’aménager les cours d’école pour faire bouger les élèves.

Passer d’une logique de procrastination à une logique de déploiement

Malgré les preuves scientifiques des bienfaits de l’activité physique, l’absence de politique publique transversale conduit à la persistance de fortes inégalités territoriales et le manque d’expression politique de haut niveau sur le Sport-Santé est criant.
L’une des recommandations du rapport de la mission confiée au Dr Dominique Delandre, qui a fait un état des lieux des financements, était de mettre en place un financement national pour éviter les inégalités territoriales. Ce rapport, pourtant salué par toutes les parties prenantes, n’a pas fait l’objet d’une présentation officielle.
Il convient désormais que l’Etat se saisisse vraiment de cet enjeu de santé publique et en fasse une politique forte, concertée, dotée d’un financement national et appuyée sur les maisons sport-santé (MSS). Bien que leurs missions aient été harmonisées sur le territoire, et leur rôle bien reconnus, leur mode de financement reste très disparate d’une région à l’autre, avec des variations de 3 voire 5 selon les régions.

Cependant, on constate aujourd’hui une hétérogénéité des pratiques, des prises en charges. En conséquence pour aller plus loin, et déployer plus largement la prise en charge de l’APA, il convient désormais sans doute de mieux protocoliser les prises en charge à partir de l’évaluation et des bonnes pratiques, notamment en construisant un parcours efficace pour améliorer de manière globale la santé des individus (qualité de vie, amélioration de symptômes…), en intégrant une présence des professionnels de santé de nature à sécuriser les données de programmation de l’activité physique des patients, la reconnaissance des intervenants dans le parcours (enseignants APA) et se donner les moyens de suivre le maintien de la pratique dans le temps. Si la formation, l’information, le travail sur le levier motivationnel, sont cruciaux, il convient de manière impérative de réfléchir à la manière dont on structure et dont on organise le sport-santé en France.

Il conviendrait d’encourager les mutuelles qui sont engagées pour une prise en charge financière de l’activité physique à visée thérapeutique, afin de leur permettre de continuer à s’engager pour leurs adhérents.

Au final, l’ensemble des acteurs parties prenantes du développement de l’activité physique à visée thérapeutique ont un vrai travail commun et concerté à accomplir pour faire bouger, remettre en mouvement la population.