Publié le 8 décembre 2021

Vacciner les enfants de 5 à 11 ans contre le Covid : qu’attendons-nous ?

Un taux de contaminations très élevé chez les enfants entre 6 et 10 ans

Entrée désormais dans la cinquième vague épidémique de Covid-19, la population française sera-t-elle suffisamment protégée pour échapper à une nouvelle saturation des moyens hospitaliers et des lits de réanimation ? Les risques sont majeurs d’ici au pic projeté pour fin janvier 2022, en dépit d’un taux de couverture vaccinale de 75%, l’un des plus élevés au monde. S’il est impératif de mieux protéger les vaccinés, grâce au rappel, la première inquiétude concerne encore les non-vaccinés, les enfants de moins de douze ans et les 6 millions de personnes âgées de plus de 12 ans non vaccinées. L’émergence préoccupante du variant Omicron, potentiellement capable d’échapper à l’immunité acquise, via l’infection ou le vaccin, conduit à une lecture d’autant plus préoccupante : la forte circulation virale actuelle que nous connaissons est une faiblesse de plus face à ce nouveau variant.

Face à ces inquiétudes, de quels leviers préventifs disposons-nous ? Télétravail renforcé, couvre-feux, jauge pour les événements, fermeture de certains lieux publics, cours en distanciel … Dans la gamme des outils désormais bien connue, un levier nouveau et complémentaire est désormais cité comme un horizon proche : la vaccination des 5-11 ans, autorisée par l’Agence européenne du médicament le 25 novembre 2021. La livraison imminente de ces dosages pédiatriques de Pfizer-BioNTech dans les pays de l’Union européenne permettra-t-elle d’augmenter le taux de couverture vaccinale de la population et de contrôler la circulation du variant Delta, ainsi que son corollaire potentiel, la pénétration du variant Omicron ?

Le taux d’incidence chez les enfants d’âge primaire, entre 6 et 10 ans, dépasse aujourd’hui 750/100.000. C’est la population où le virus circule le plus. Les conséquences scolaires sont certes atténuées depuis le changement des critères de fermeture des classes, mais le problème reste non-négligeable : au 3 décembre, plus de 33.500 élèves sont à l’isolement pour une semaine et ce nombre est sans doute appelé à croître tout au long du mois de décembre.

 

Le Covid constitue-t-il un risque réel pour les enfants ?

Surtout, quelles sont les conséquences de cette circulation virale sur la santé des enfants ? Depuis maintenant de nombreux mois, Anthony Fauci, qui conseille la Maison Blanche, sonne l’alarme et ne ménage pas ses efforts pour réaffirmer partout que le Covid, même s’il est le plus souvent bénin chez les enfants, constitue un risque réel dont ils doivent impérativement être protégés : « ceux qui disent « non, non, pas de problème avec les enfants » doivent regarder les faits » [1]. La tonalité est incroyablement différente du côté des experts français : pour la présidente de la Société française de pédiatrie, Christèle Gras-Le Guen, « on ne va pas se mentir, les risques pour cette classe d’âge sont quasi nuls » [2].

Aux Etats-Unis, la vaccination des 5-11 ans a été lancée début novembre, avec une communication auprès des parents qui privilégie le levier motivationnel de l’intérêt personnel (« je protège mon enfant ») tout en vantant aussi le levier civique (« pour s’en sortir, il faut que chacun soit vacciné, même les enfants »). La Maison Blanche affiche sa mobilisation totale pour vacciner, d’ici Noël, les 28 millions d’enfants américains de cette tranche d’âge [3].

Début novembre, la décision des Center for Disease Control a mis en avant des chiffres affichés comme préoccupants pour la santé des enfants : chez les 5-11 ans, depuis mars 2020, près de cent décès et 8300 hospitalisations.

En France, depuis mars 2020, sur environ 8000 hospitalisations de mineurs pour Covid, environ 1300 enfants étaient âgés de 5 à 11 ans ; 15 décès sont survenus en lien avec le Covid chez des moins de dix ans. Un certain nombre de positions hostiles à la vaccination des 5-11 ans en France font valoir que les formes graves concernent donc trop peu d’enfants pour que l’indication de vacciner cette population soit retenue, et proposent de ne cibler que les enfants fragiles, dont la pathologie est facteur de risque de formes graves. Comment en juger ? La décision des autorités françaises est annoncée pour les prochaines semaines. Il est clair que la balance se fait entre les bénéfices attendus et d’éventuels risques pour la sécurité des enfants. Sur ce point, l’Agence européenne du médicament a conclu de façon positive sur la base des essais cliniques de Pfizer-BioNTech ; et les plus de 4 millions d’enfants américains ayant reçu leur première dose de la formule pédiatrique depuis début novembre produiront de nouvelles connaissances sous peu.

 

« Un vaccin sous le sapin » ?

L’Allemagne, l’Italie, l’Autriche, l’Espagne ont déjà annoncé qu’elles vaccineraient leurs 5-11 ans le plus tôt possible en décembre. « Un vaccin sous le sapin » ? En France, il faudra probablement patienter quelques semaines de plus, l’échéance de janvier étant présentée comme plus raisonnable, car permettant d’attendre les certitudes attendues de la campagne pédiatrique outre-Atlantique. Plusieurs enjeux politiques se superposent : la pertinence même de la vaccination, l’urgence de son calendrier, et puis aussi ses chances de succès dans les familles. Sur ce point, les quelques données recueillies rendent plutôt pessimistes [4]. L’explication des bénéfices individuels et collectifs attendus de la vaccination des enfants s’annonce donc comme un vrai défi pour les autorités et les professionnels de santé qui devront s’en charger.

La cinquième vague entraînera la contamination d’un très grand nombre d’enfants d’âge primaire – certains considèrent même qu’au vu des courbes actuelles, une majorité d’entre eux aura été infectée à Noël. Nul ne sait si cette immunité gagnée par l’infection sera durable chez eux, ni surtout si elle les protègera face au variant Omicron. Face à la menace d’Omicron et à la pression à laquelle la société est, de fait, de nouveau soumise dans l’épidémie, la vaccination des enfants s’imposera comme une urgence de fait à court terme, en France et dans l’Union européenne. Il faut la préparer dès maintenant, en parler avec nos enfants, et tout mettre en œuvre pour qu’ils y voient l’une des promesses qu’ils chérissent pour Noël.

 


Par Mélanie Heard, philosophe et docteure en science politique, anime le pôle santé de Terra Nova. Elle est membre du Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale. Ses propos sont strictement individuels et n’engagent en aucun cas cette instance.

 

[1] A.Fauci, Meet the Press, CNBC, 8/8/21

[2] https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2021/10/30/covid-19-faut-il-vacciner-les-moins-de-12-ans-le-point-sur-ce-que-l-on-sait-des-benefices-et-des-risques_6100405_4355770.html

[3] https://www.whitehouse.gov/briefing-room/press-briefings/2021/11/01/press-briefing-by-white-house-covid-19-response-team-and-public-health-officials-65/

[4] une majorité de parents se déclarent réticents à l’égard de la vaccination des enfants âgés de 6 à 12 ans (62% entre septembre et octobre)Jérémy Ward (Octobre 2021), Enquête SLAVACO Vague 2 : passe sanitaire, obligation vaccinale et rappels (résultats préliminaires) ORS PACA , données du 22 septembre au premier octobre