Publié le 29 novembre 2018

Prévenir le grand âge, c’est quoi ?

#La synthèse du Lab

La France rencontre une difficulté culturelle à aborder de manière globale et sereine la question d’une société de la longévité. Or, l’allongement de la durée de vie va se poursuivre avec, de surcroît, l’arrivée au grand âge en 2025 des générations des baby boomers. Cette synthèse du Lab met en évidence la nécessité de repenser la prévention pour retarder l’âge de l’entrée en dépendance.

L’édition d’octobre 2018 de Place de la Santé-L’Observatoire sur les impacts financiers du vieillissement a pointé l’ampleur des restes à charge pour les familles en établissement et à domicile, des inégalités territoriales et des besoins de financements, aujourd’hui et à venir, objectivant ainsi l’urgence à réfléchir à un modèle du « bien vieillir », non plus seulement au travers de la seule problématique du financement, mais dans une dynamique globale, sociétale, démographique et environnementale.

Dans ce contexte, il est nécessaire, en plus de l’adaptation de la prise en charge sociale et médicale des personnes âgées en situation de perte d’autonomie, de repenser et de développer la prévention pour retarder la survenance de la perte d’autonomie, en ralentir la progression et, au final, bien vivre sa vieillesse.

 

La prévention ne doit pas se limiter aux actions auprès des personnes de plus de 60 ans. Elle doit intervenir bien plus tôt, à tout âge de la vie et être élargie aux proches aidants, sur la fragilisation de leur état de santé et leur propre perte d’autonomie.

 

Vue à la fois sous un angle médical et sous un angle social/sociétal, la prévention permet la détection de fragilités ou des troubles en amont (notamment la dépression de la personne âgée ou la dénutrition), avec un moindre coût espéré pour la collectivité.

Elle ne sera cependant efficace que si elle s’accompagne d’une meilleure coordination de l’organisation du système de soins et de prise en charge des personnes âgées, ainsi que d’une politique volontariste d’inclusion des personnes âgées dans la société, avec une redynamisation du lien social, la reconnaissance de l’utilité sociale des personnes âgées et la prise en compte de leurs besoins et usages dans la conception des politiques de logement/habitat, de mobilités, ou encore des transports.

Au final, l’amélioration de la prévention de la perte d’autonomie suppose de :

  • penser un modèle domiciliaire tel que développé par Marie-Anne Montchamp, présidente de la CNSA ;
  • mener une réflexion au niveau des territoires ;
  • améliorer l’interopérabilité entre les acteurs ;
  • engager une bataille culturelle.

 

Les quatre axes de la prévention de la perte d’autonomie

Pour changer le regard de la société sur le vieillissement, le modèle domiciliaire doit être repensé selon quatre axes : santé, habitat, mobilité, et inclusion sociale. Cela suppose de répondre au souhait dominant, au sein de la population, de rester chez soi le plus longtemps possible. L’inclusion des seniors dans un environnement social se pose au moment de la retraite. Mais il faudrait étendre cette réflexion à la vie professionnelle car, d’une part, on est considéré comme senior de plus en plus tôt, avec un âge de la retraite de plus en plus tardif et, d’autre part, le départ à la retraite constitue un risque de rupture dans les parcours de vie.

La concertation ouverte par le gouvernement se tient à un moment de transformation à la fois culturelle, territoriale, technologique et environnementale. Le changement climatique aura forcément un effet sur l’habitabilité même dans les villes (rapport du Massachussets Institute of Technology qui montre qu’à partir de 2030 l’Arabie saoudite sera inhabitable). Cette concertation sera certainement l’occasion d’obtenir des avancées sur cet aspect.

 

Nouvelles technologies : atout ou risque d’inégalités ?

Les mutations scientifiques, technologiques, mais aussi démographiques, vont agir en combinatoire, notamment sous l’effet de l’irruption des grandes entreprises du numérique dans le champ de la perte d’autonomie. Le numérique va jouer un rôle important pour améliorer la situation des personnes en perte d’autonomie et celle de leur entourage (1) : la 5G va être un moteur notamment par la mise en place de plateformes pour faire travailler ensemble différents acteurs sur un territoire.

 

Toutefois, il faut veiller à ce que ces technologies n’entraînent pas de nouvelles inégalités, entre les personnes qui en seront équipées (par exemple, un dispositif pour éviter les chutes, AppleWatch…) et celles qui ne le seront pas.

 

Or, les premiers publics exclus du numérique sont les personnes âgées, même si elles ont pu pratiquer les nouvelles technologies durant leur vie professionnelle et si elles sont demandeuses de maîtriser les outils informatiques. Il faudra donc veiller à ce que des inégalités technologiques ne viennent pas s’ajouter aux autres : économiques, sociales, territoriales…

 

Les acteurs de la prévention

Selon le Dr Jean-Pierre Aquino, délégué général de la Société française de gériatrie et de gérontologie, trois temps forts doivent permettent de jeter les bases de la prévention : 40 ans pour adopter un comportement vertueux en matière de qualité de vie (réduire la consommation d’alcool et de tabac, adopter une alimentation équilibrée, faire du sport…) ; le départ à la retraite pour la prévention de l’isolement social et autour de 75 ans pour une information sur les pathologies multiples.

C’est dire si les acteurs de la prévention vont au-delà du seul cercle des médecins. Le monde du travail, à travers la responsabilité sociale des entreprises (RSE), pourrait être mis à contribution, afin de préparer les futurs retraités à leur nouvelle existence ainsi qu’aux risques encourus par l’avancée en âge. Les aides ménagères sont également aux premières loges pour identifier les fragilités d’une personne âgée. Il en va de même des postiers ; le groupe La Poste propose d’ailleurs des prestations de téléassistance et de visites régulières chez des personnes âgées.

Lutter contre l’isolement social des personnes âgées, facteur de perte d’autonomie, est la raison d’être du programme Monalisa qui réunit plus de 460 organisations (associations, caisses de retraites, collectivités territoriales, etc). Des bénévoles, constituées en « équipes citoyennes » mènent dans leur quartier des actions en faveur des personnes isolées (visite à domicile ou en établissement, initiation au numérique, aides aux démarches administratives, sorties culturelles …).

 

La prévention nécessite la coordination, sur le terrain, de l’ensemble des intervenants auprès de la personne âgée. Si cette interopérabilité permet une prévention personnalisée, donc plus efficace, elle se heurte à des différences de culture et d’objectifs entre ces acteurs, ainsi qu’à un manque de moyens au niveau des collectivités territoriales.

 

Enfin, au-delà de ces difficultés organisationnelles ou financières, la prévention des fragilités est confrontée à une réalité sociologique : le déni de la vieillesse dans notre société, même si des efforts notables ont été fournis par les pouvoirs publics (notamment au cours des débats autour de la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement). Parler de prévention de la perte d’autonomie, c’est, de fait, évoquer sa propre finitude, ce qui agit comme un effet repoussoir.

 

Aider les aidants

Selon l’Association française des aidants, la France compte 8,3 millions d’aidants dont la moitié apporte une aide régulière à des personnes âgées. Le profil type ? Une femme, dans 58% des cas, exerçant une activité professionnelle dans plus de la moitié des situations et étant seule à aider (39% des situations), comme le montre le Baromètre 2017 des aidants de la Fondation April. Mais, à l’évidence, les aidants ne peuvent pas tout. Souvent en situation d’épuisement, ils aspirent avant tout au répit, au besoin d’être écoutés et à continuer à vivre, comme l’indique Florence Leduc (2), présidente de l’Association française des aidants.

Dans ce cadre, la prévention doit également intégrer l’entourage, le plus souvent dépourvu, au fur et à mesure de la progression de la perte d’autonomie, en particulier lorsque se pose la question (ou la nécessité) de l’entrée en institution. Une étude du CREDOC pour le compte de Terra Nova, AG2R La Mondiale et la Caisse des Dépôts montre toutes les difficultés, alimentées parfois par un sentiment de culpabilité de l’entourage (le plus souvent les enfants et les petits enfants qui sont souvent à l’origine de cette décision), à aborder cette question avec la personne intéressée. Pour casser un « huis clos » familial anxiogène, une intervention extérieure est donc nécessaire, à tout le moins celle d’une association partenariale des proches aidants dans le parcours de prise en charge des personnes âgées.

 

Quel niveau territorial pertinent ?

Aujourd’hui, les inégalités territoriales sont patentes et il convient de rechercher les échelons les plus pertinents d’expression des solidarités, puis de mise en œuvre de la politique définie.

La construction de la politique domiciliaire, de la refonte du système de la prise en charge coordonnée des personnes âgée et de la définition du panier de services et de soins associé relève de la responsabilité de l’Etat.

La réponse est plus ouverte s’agissant du bon échelon territorial pour la mise en œuvre de cette politique.

La région ? Cela nécessiterait une remise à plat des compétences qui lui sont dévolues par l’Etat.

Le département ? Un échelon pertinent dans les zones où la puissance communale est plus faible.

L’intercommunalité et les métropoles ? Une piste intéressante quand le département a de faibles capacités d’action.

Il est cependant essentiel d’instaurer un dialogue efficace entre les différentes collectivités, avec un renforcement des ressources humaines consacrées à la question de la dépendance au sein des collectivités territoriales, aujourd’hui souvent très peu nombreuses, y compris dans des départements très impliqués en matière de politique sociale, comme la Meurthe et Moselle.

Par ailleurs, la réflexion territoriale ne doit pas se limiter à la question des zones rurales désertées : des zones péri-urbaines et des centres-villes sont également concernés par des carences de moyens et de structures.

 

Références

(1) Sur cette question des innovations technologiques et de leurs effets, lire les travaux de Serge Soudoplatoff, expert de la Fondation pour l’innovation politique, notamment son étude intitulée « L’intelligence artificielle : l’expertise partout accessible à tous ».
(2) Lire l’entretien dans le numéro d’octobre 2018 du magazine Mutations.