Publié le 12 février 2018

Reste à charge zéro universel ou sélectif

#La synthèse du Lab

Quel reste à charge pour quelle catégorie de population ? C’est à cette question qui met en balance deux visions de la justice sociale – l’une en faveur de l’universalité, l’autre de la sélectivité – que cette synthèse du Lab de Place de la Santé s’essaie ici à répondre.

 

Universalité versus sélectivité : quel reste à charge pour quelle catégorie de la population ? Bien que le gouvernement s’oriente vers la possibilité pour tous les Français d’accéder à une offre sans reste à charge dans les domaines de l’optique, de l’audioprothèse et de la prothèse dentaire, l’opportunité d’une prise en charge améliorée pour certains publics mérite d’être posée.

D’abord, parce qu’une telle prise en charge existe déjà. C’est le cas par exemple de la CMU-C, la protection complémentaire santé gratuite attribuée sous condition de résidence et de ressources et dont le bénéfice ouvre droit à des tarifs plafonnés pour certains types d’équipement. L’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé (ACS) donne elle aussi droit à un reste à charge nul sur les dépassements d’honoraires et l’accès à des tarifs sociaux en dentaire. C’est aussi le cas des affections de longue durée, pour lesquelles une prise en charge supplémentaire par la Sécurité sociale est organisée, mais dont l’efficacité doit être nuancée : les bénéficiaires de ce dispositif supportent un reste à charge plus important que ceux qui n’en bénéficient pas (750 € vs 400 €).

Ensuite, parce qu’une telle prise en charge fait régulièrement débat autour de la notion de bouclier sanitaire, mécanisme qui vise à instituer un plafond des restes à charge (Rac) supportés par les patients sur la dépense remboursable. En dessous du seuil, les tickets modérateurs et participations forfaitaires resteraient à la charge de l’assuré ; au-delà, l’assurance maladie obligatoire lui garantirait une couverture intégrale. La Cour des comptes et le ministère de l’Économie et des Finances, à travers la Direction Générale du Trésor, proposent régulièrement sa création.

 

Universalité et sélectivité : deux visions de la justice sociale

L’option universaliste a le mérite de la simplicité (clarté et lisibilité) et, par l’égalité, semble plus à même d’être acceptée par la population. Il s’agit alors de reconnaître un égal accès de tous à des soins, tout le monde se trouvant égal face à un éventuel besoin de prise en charge. Une telle option pose néanmoins la question de son coût et de sa soutenabilité. Faute de régulation des tarifs pratiqués, la solvabilisation de toutes les sommes à la charge des ménages risque d’avoir un caractère inflationniste. Or, la dérive des coûts devra être compensée par de nouvelles sources de financement, qui pèseront plus fortement encore sur les plus fragiles.

La sélectivité est une autre façon d’introduire de la justice sociale dans le système. C’est cette fois l’équité qui gouverne le système, avec au cœur une prise en charge améliorée pour ceux qui en ont le plus besoin. Cette logique peut se traduire de diverses manières. Trois critères de différenciation ont été plus particulièrement débattus  :

  • L’âge, selon une logique d’investissement social  : en maximisant les prises en charge sur les mineurs pour ce qui concerne l’optique et le dentaire, et sur les personnes âgées en matière d’audioprothèse, les avantages seraient nombreux, en raison des économies réalisées et de la meilleure santé globale de la population. Par exemple, des prises en charge améliorées existent déjà pour les mineurs en matière d’optique.
  • Les revenus, en élargissant le périmètre de la CMU-C ou de l’ACS : il suffirait d’augmenter les plafonds de ressources en-dessous desquels le bénéfice de ces dispositifs est envisageable pour que l’offre à reste à charge nul soit étendue à une population plus nombreuses.
  • Le taux d’effort, selon la logique susmentionnée du bouclier sanitaire.

Quel que soit le critère, on peut regretter que la sélectivité induise des effets de seuil importants qui nuisent à l’acceptabilité du système tout entier. De même, généraliser l’obtention d’une prise en charge améliorée à un certain niveau de revenus pose la question des groupes intermédiaires qui pourraient ne bénéficier ni de politiques redistributives, ni d’un pouvoir d’achat suffisant pour en supporter les coûts afférents.

 

La sélectivité est une autre façon d’introduire de la justice sociale dans le système. C’est cette fois l’équité qui gouverne le système, avec au cœur une prise en charge améliorée pour ceux qui en ont le plus besoin.

 

Là encore, une action sur l’offre, à travers une plus grande concurrence et transparence de l’ensemble de la chaîne de valeur du soin, apparaît comme la plus équitable, toute baisse de prix bénéficiant en définitive aux patients. Ce qui ne pourrait sans doute se faire sans régime de responsabilité partagée : c’est bien à toutes les parties prenantes de se mobiliser pour que notre système de santé demeure solidaire, soutenable et au bénéfice de tous (offre disciplinée, actions de prévention pour les patients, efficacité et performance du financement).

Pour le reste, le critère de l’âge peut rapidement apparaître contestable. Serait-ce à dire que les personnes âgées n’ont pas de problèmes dentaires suffisamment importants pour se voir mieux pris en charge ? Idem en matière d’optique ?

 

Bouclier sanitaire : pourquoi s’y opposer ?

Pour le critère du taux d’effort, d’autres critiques s’ajoutent aux précédentes.

En premier lieu, le bénéfice d’une prise en charge intégrale, toutes choses égales par ailleurs, peut nuire à la plus simple logique de prévention. Pire, en concentrant les efforts financiers selon le taux d’effort des ménages, le risque est grand que les plus gros consommateurs soient les moins à même de s’engager dans une démarche de prévention, à défaut d’incitation à la modération. Le bénéfice d’une prise en charge améliorée sous réserve d’avoir peu ou pas consommé une année mériterait-il alors d’être débattu ?

En second lieu, avec le bouclier sanitaire, on abolirait tout principe de solidarité, en réinterrogeant complètement l’intérêt à recourir à une complémentaire santé. Dans ce modèle, chacun se voyant imposer une franchise en-dessous de laquelle les soins sont supportés par les ménages, il suffirait pour ces derniers de prévoir leur épisode de soins, donc les coûts à supporter, pour décider ou non de s’assurer. Autrement dit, la solidarité serait mise à mal du fait même du système.

 

Notes

[1] D’autres critères auraient pu être envisagés (en fonction des refus de soins par exemple), mais comment l’apprécier, l’évaluer ?

[2] L’investissement social est une approche qui vise à donner une nouvelle orientation à la protection sociale, destinée à mieux équiper les individus dans leurs parcours de vie face à l’évolution des besoins sociaux et à promouvoir une économie fondée sur la formation et la qualification. Cette approche souligne la nécessité d’intervenir le plus en amont des situations, dès la petite enfance notamment, afin d’anticiper et de prévenir les risques sociaux.